1754-03-16, de Jacob Vernet à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

A cette lettre, ostensive si vous voulez pr Mr l'Evêque de Porentru &ca je joins quelques lignes pr vous faire observer qu'on a mis le titre come vous l'avez ordonné, et qu'en même tems que l'avertissement laisse à cette Edition le petit avantage d'avoir de votre main une correction que personne que vous n'étoit en droit de faire, et qui par là mérite d'être citée sous votre nom; avantage qu'il est bien naturel qu'un libraire prenne; il laisse entendre par toute la tournure de l'Avertissem’ précisément tout ce que vous souhaitez.
Car vous ne désavouez pas dans les papiers publics le fond de cet ouvrage mais vous désavouez avec raison l'état si défectueux où on l'a donné; et ce milieu est justement celui qu'on a gardé dans l'avertissement, qui est propre à confirmer vos déclara͞ons, loin de les contredire. Ne dédaignez pas come vous faites, ces morceaux historiques. Ce sont de belles et vrayes peintures. Et cela est plus utile que vous ne croyez. Les faits sont la base de mille choses actuellem’ établies en bien & en mal & il importe presqu'autant de purger l'Histoire de certaines erreur que d'en purger la Physique. L'Histoire est l'Ecole des Politiques, & les Politiques gouvernent le monde. Vous êtes un de ceux qui ont le plus rendu de service au genre humain du côté de la tolérance, & l'on y parvient mieux par l'Histoire que par les raisomemens. Non, Monsieur, si cet ouvrage est retouché à votre gré, aucun peut être ne vous fera plus d'honneur, & ne produira plus du bien dans le public. D'ailleurs rien n'est sec entre vos mains, parce que vous y mettez toujours un fond de philosophie, & une teinture de belles-lettres. C'est véritablem’ l'histoire des homes que vous écrivez, & cela d'une manière à servir de flambeau aux autres homes. Tâchez donc d'achever ce beau tableau. Du moins je voudrois bien obtenir de vous pour mon propre usage une copie de ces 12 chapitres que vous avez retiré de Paris et qui manquent à ce qui a déjà été publié; je vous le demande sous la promesse formelle de n'en faire part à personne, & de ne m'en servir jamais que selon vos ordres, en homme égalem’ attaché à votre gloire & à ce qui intéresse votre repos. Ce serait une grâce singulière que je recevrois de vous.

On dit que le Sr la Baumelle avoit une Ode toute prête, adressée à la Reine, pour annoncer les hautes destinées du Duc d'Aquitaine, quand la mort avec sa faulx meurtrière est venu d'un seul coup trancher la vie de ce jeune Prince & les espérances que le Poète fondoit sur son Horoscope.

La manière dont vous me répondez sur l'article du mariage me fait juger que je ne risque rien à vous faire ici une félicitation telle qu'elle peut partir de quelcun qui vous honore véritablement, qui vous souhaite une vie enfin tranquille, & qui est avec dévouement,

Votre très humble & obéisst serviteur

J. Vernet