1739-02-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à René Hérault.

Monsieur,

Je suis assurément bien plus touché, bien plus consolé de vos bontez, que je ne suis sensible aux impostures abominables d'un homme dont les iniquitez de toutte espèce sont si bien connues de vous.

Je vous parle monsieur, et comme au juge qui peut le punir selon les loix, et comme au protecteur des lettres, au pacificateur des citoyens, et au père de la ville de Paris. Comme à mon juge je ne balancerai pas à vous présenter requête, et c'est à votre tribunal seul que j'ay souhaité de recourir, parce que j'en connais la promte justice, que vous êtes instruit du procez, et que vous avez déjà condamné cet homme en pareil cas.

Mais Mr daignez considérer comme juge, que si l'abbé Desfontaines deffend ses calomnies par de nouvelles impostures, il faut que je vienne à Paris pour me deffendre. Il y a plus de trois mois que je suis hors d'état d'être transporté. Vous connaissez ma santé languissante. Si je pouvois me flatter que vous pussiez nommer un juge du voisinage pour recevoir, et vous renvoyer juridiquement mes deffenses, et pour se transporter à cet effet au châtau de Cirey, je suis prest à former la plainte en mon nom. Cependant c'est une grâce que je n'ose pas demander, car je sens très bien margré toute l'indulgence qu'on peut avoir pour ma mauvaise santé, quel respect on doit aux loix et aux formes.

On m'a mandé que la plupart de ceux qui sont outragez dans ce libelle ont rendu plainte et je ne sçai si cela est suffisant.

Pour moy monsieur qui ne demande ny la punition de personne, ny dommages, ny intérêts, et qui n'ay pour But que la réparation de mon honneur, ce que j'ose vous demander icy avec plus d'instance, c'est que vous daigniez interposer votre autorité de magistrat de la police, et de père des citoyens, sans forme judicière à mon égard, et sans employer contre le sr Desfontaines l'usage de la puissance du roy.

Je vous conjure donc monsieur d'envoyer chercher l'abbé Desfontaines (si vous trouvez la chose convenable) et de luy faire signer un désaveu des calomnies horribles dont son libelle est plein.

Ne peut il pas déclarer qu'il se repent de s'être porté à cet excez, et que luy même après avoir revu sa propre lettre écritte au sortir de Bissetre (que j'ay fait presenter à M. le chancelier et dont vous monsieur avez copie) après avoir vu Le témoignage de tant d'honnêtes gens qui déposent contre ses calomnies? ne peut il pas reconnaître qu'il m'a injustement outragé, et promettre de ne plus tomber à l'avenir dans de semblables crimes? Voyla monsieur tout mon but, ce que je demande est il juste, est il raisonable? Je m'en remets à vous. Un procez criminel peut achever de ruiner ma santé, et troublera tout le cours de mes études qui sont mon unique consolation.

Je sens monsieur toute la hardiesse de mes prières et combien il est singulier de prendre mon juge pour mon conseil. Mais enfin je ne peux en avoir d'autre. Je me mets entre vos bras, je vous regarde comme mon protecteur, je ne feray que ce que vous me prescrirez, je ne veux point abuser de vos moments. Mais si vous voulez me faire savoir vos ordres par mr Deon dont je connais la probité, je m'y conformeray, je luy renverray sa lettre, je seray toute ma vie, avec le plus respectueux attachement, et la plus vive reconnaissance,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire