On vous écrit souvent mademoiselle comme à l'arbitre du bon goust, et à la personne de France qui juge le mieux des ouvrages d'esprit.
Je ne m'adresse aujourduy qu'à votre cœur et à la bonté de votre caractère. Il y a dans le monde un monsieur Guiot de Merville qui travaille pour votre téâtre. Je l'ay connu autrefois par hazard, et je ne l'ay connu que pour luy rendre service. Il s'est depuis peu lié avec l'abbé Desfontaines, et il a succé le venin que cet ennemy des femmes, du bon goust, et des bons ouvrages s'avise de répandre contre moy. Merville n'a pas manqué, dans la préface d'une de ses comédies dont j'ay oublié le nom de mettre deux pages d'injures qui ne m'offensent que parce qu'elles viennent d'un homme, qu'on dit que vous affectionnez. S'il est vray qu'il soit assez heureux pour prendre de vos leçons, je suis sûr que vous luy donnerez celle de ne se point déchainer contre un homme qui ne luy a jamais fait de mal, et qui ne peut se rencontrer dans son chemin. Il vous aura l'obligation de devenir un honnête homme, et moy celle d'avoir un ennemy de moins.
Puis que je suis en train de vous demander des grâces, je vous suplie mademoiselle de me dire tout naivement à qui je pourois m'adresser pour engager mr de Launay à ne plus envoyer de mémoires contre moy au sr Roussau. Vous me direz peutêtre ou du moins vous penserez que vous n'avez que faire de tout cela, que je suis un importun; mais je vous répondray qu'il s'agit de faire plaisir, et d'en faire à quelqu'un qui est votre admirateur et votre amy. Il n'y a point à cela de réplique, et quelque esprit que vous ayez je vous défie de trouver une raison pour ne pas rendre service, quand votre cœur vous dit qu'il faut obliger. Soyez persuadée de la tendre et sincère reconnaissance d'un homme qui vous sera dévoué toute sa vie. Zamore et Alzire vous saluent à quatre pattes.
V.
à Cirey ce 14 novembre 1738