[?17 October 1749]
Mademoiselle,
Si je n'étois l'homme du monde le plus infirme, je passerois pour le plus ingrat.
J'ay toujours compté pouvoir venir me jeter aux pieds de madame la duchesse du Maine, la remercier de ses bontez, et vous dire mademoiselle combien je suis pénétré des vôtres. Mais des souffrances continuelles m'arrachent à mes plaisirs et à mes devoirs. Je n'ay d'autres consolations que mes livres et un peu de travail dans les moments de relâche que me donnent mes maux. Jugez mademoiselle si un homme condamné à ne vous point voir est malheureux! Je suis sûr que Madame la duchesse du Maine daignera plaindre un de ses sujets qui est exilé de son royaume. Où devroi-je passer ma vie que dans la patrie du bon goust et du véritable esprit, aux pieds de la protectrice des arts? J'ose vous conjurer mademoiselle de vouloir bien me protéger auprès d'elle. Son estime est le but de tous mes travaux, elle diminuera mes souffrances. Son altesse sérénissime a vu bien des gens de lettres qui valoient infiniment mieux que moy, mais jamais aucun d'eux n'a senti plus vivement son mérite et n'a plus admiré la supériorité de ses lumières. Vous êtes faitte mademoiselle pour luy faire oublier tout le monde, mais je vous prie de daigner la faire souvenir de moy. Je viendray assurément au premier rayon de santé, vous assurer que je voudrois passer mes jours auprès de vous.
Je suis avec bien du respect mademoiselle
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
Je vous demande mille pardons, j'étois plein du nom de mademoiselle de Launay que vous avez rendu si respectable, et j'oubliois madame de Stall.