1739-02-02, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Voilà mon cher ami vne lettre p͞r mr Defresne.
N͞s ne sauons pas son adresse; et présentée par v͞s elle sera bien mieux reçuë.

V͞s connoissés sans doutte vn malheureux auteur nommé St Hiacinte qui a été longtemps protégé par m͞e de Verpillau et qui done aujourd'huy à jouër. Il est auteur d'un libelle plus obscur que lui encore, mais que l'abé des Fontaines raporte dans son libelle diffamatoire. Ce libelle de st Hiacinte est intitulé la vie d'Aristarcus. V͞s sentés bien que votre ami ne peut pas laisser vne telle calomnie sans vengeance, mais v͞s sentés mon état en même tems, et ie suis sûre que v͞s en aurés pitié. Un désaueu de St Hiacinte de ce malheureux libelle ou du moins une assurance par escrit qu'il n'a point prétendu y parler de mr de V. me sauueroit peutêtre la vie, car si votre ami exécutoit la malheureuse résolution qu'il prend toutes les vint quatre heures d'aller à Paris, ie mourerois de douleur. Ie suis persuadée que si v͞s y pouués quelque chose v͞s v͞s y employerés auec l'amitié que ie v͞s connois p͞r les deux solitaires de Cirey que votre amitié seule empêche d'être entièrement malheureux.

ce 2e féurier [1739]

Si v͞s n'escriués pas mon cher ami de la façon la plus forte à votre ami p͞r le dissuader d'aller à Paris je suis la plus malheureuse de toutes les créatures. Si v͞s voyés les agitations de son âme, v͞s veriés bien qu'il seroit très dangereux qu'il y fût. Ie n'espère qu'en la sagesse de vos conseils, et dans la vivacité de votre amitié. Il veut faire ce procès criminel, il envoie des procurations, il faudra enfin qu'il y aille. Ie crains les rescriminations et les éclats. Au nom de dieu que votre amitié parle, et qu'elle décide de notre sort. Les combats que i'ay à soutenir sont incroyables, et ie suis bien à plaindre si v͞s m'abandonés.

Mille choses à mr votre frère et à me Dargental.