1736-07-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à — Berger.

Il y a du malheur sur les paquets que vous m'envoyez, mon aimable correspondant.
Je n'ai encore rien reçu de ce qu'on remit entre les mains de mr du Chatelet, à son départ de Paris. Ce petit ballot arriva trop tard pour être mis dans sa chaise déjà trop chargée & fut envoyé au coche. Dieu sait quand je l'aurai.

L'aventure de m. Ralle ne peut être vraie. Je n'ai ni créancier qui puisse m'arrêter, ni rien par devers moi, qui doive me faire craindre le gouvernement sage sous lequel nous vivons. Je suis loin de penser que le magistrat en question soit mon ennemi; mais s'il l'était, il n'est pas en son pouvoir de nuire à un honnête homme.

La lettre, dont vous me parlez & qu'on doit mettre à la tête de la Henriade, est de mr. Cocchi, homme de lettres très estimé. Elle fut écrite à mr de Renuccini, secrétaire & ministre d'état à Florence. Elle est traduite par le baron Elderchen. Je ne me souviens pas qu'il y ait un seul endroit, ou mr Cocchi me mette au dessus de Virgile. Sa lettre m'a paru sage & instructive. Si c'était ici une première édition de la Henriade, j'exigerais qu'on n'imprimât pas cette lettre. Trop d'éloges révolterait les lecteurs français, mais après vingt éditions, on ne peut plus avoir ni orgueil ni modestie sur ses ouvrages. Ils ne nous appartiennent plus & l'auteur est hors de tout intérêt. Au reste n'ayant point encore reçu les exemplaires du poème que j'avais demandés, je ne puis rien répondre sur ce qui concerne l'édition.

Le petit poème que vous m'avez envoyé, est d'un pâtissier. Il n'est pas le premier auteur de sa profession. Il y avait un pâtissier fameux qui enveloppait ses biscuits dans ses vers du temps de maître Adam, menuisier de Nevers. Ce pâtissier disait que, si maître Adam travaillait avec plus de bruit, pour lui il travaillait avec plus de feu. Il paraît que le pâtissier d'aujourd'hui n'a pas mis tout le feu de son four dans ses vers.

Je viens de recevoir une lettre de mr Sinetti: mais il n'a point encore reçu les Alzire.

Le gentil Bernard devrait bien m'envoyer sa Claudine; mais que fait le gentil la Bruere?

Je ne vous dis rien sur l'Orosmane dont vous me parlez. Apparemment que le mot de cette énigme est dans quelque lettre de vous que je n'ai point encore reçue. Quand Tiriot sera-t-il à Paris? Adieu.