à Cirey 5 avril 1736
Si je n'avais que la Henriade à corriger, vous l'auriez déjà, mon cher plénipotentiaire; mais j'ai bien des occupations & peu de temps.
Vous n'aurez la Henriade que vers la fin de ce mois. Je confie avec plaisir aux soins du meilleur critique de Paris le moins mauvais de mes ouvrages. Vous serez le parrain de mon enfant gâté. Mr Tiriot approuve mon choix & partage ma reconnaissance. Pour vous mon cher correspondant, voulez vous bien envoyer chez mr Demoulin les livres nouveaux dont vous croyez la lecture digne de la déesse de Cirey. Vous n'en enverrez guère & cela ne nous ennuyera pas.
J'ai prié mr Tiriot de chercher le nouveau recueil fait par St Hiacinthe.
On parle d'une ode de Piron sur les miracles. Le nom de Piron est heureux pour un sujet où il faut au moins douter. Si le Piron français est aussi bon poète que le Pirrhon grec était sensé philosophe, son ode doit être brûlée par l'inquisition. Ayez, je vous prie, la bonté de me l'envoyer.
On me mande que Bauche va imprimer Alzire. Je lui ai envoyé, il y a quinze jours, Zaïre corrigée pour en faire une nouvelle édition. Ce sera peut-être lui que vous choisirez pour l'édition de la Henriade; mais c'est à condition qu'il imprimera toujours Français par un a& non par un o. Il n'y a que s. François qu'on doive écrire avec un o, & il n'y a que l'Académie qui prononce le nom de notre nation comme celui du fondateur des Capucins.
J'ai trouvé l'opéra de mr de la Bruere plein de grâces & d'esprit. Je lui souhaite un musicien aussi aimable que le poète.
J'ai écrit au gentil Bernard, pour le prier de m'envoyer ce qu'il aura fait de nouveau. Adieu, l'ami des arts & le mien.
P. S. La comédie du bordel est de mr de Quelus. Voulez vous bien me la faire tenir? Envoyez la chez Demoulin. Je ferai le bien que je pourrai au petit la Marre; mais il faudrait qu'il fût plus sage & plus digne de votre amitié, s'il veut réussir dans le monde.