à Cirey ce 16 mars 1736
Mon cher amy vous avez bien gagné à mon silence; Emilie a entretenu la correspondance.
Ces petits vers une fois passez, vous saurez que vos lettres m'ont fait autant de plaisir que les siennes ont dû vous en faire. Si j'étois un Descartes vous seriez mon père Mersenne. J'ay été acablé de maladies, et d'occupations. Je m'étois donné tout cela, et je m'en suis tiré. Etes vous content de la dédicase du temple d'Alzire à la déesse de Cirey, et de la postface à mr T . . . et du petit grain d'avertissement? Et vite que Demoulin transcrive et que la Serre aprouve, et que Praut imprime, car je croi que Demmoulin le surintendt a donné ses faveurs à Praut.
Homme faible, vous laisserez vous persuader qu'il faut que Gusman interrompe Alzire pour luy dire une Quinauderie? et ne sentez vous pas combien ce vers
est pris dans le caractère de la personne, qui ne doit avoir aucune adresse, et rien que de la vérité? Triumvirat très aimable, il y a des cas où je suis votre dictateur.
est très français. Cette phrase est de touttes les langues. Lisez la grammaire à l'article des pronoms collectifs.
est un vers faible et plat, s'l est seul, à peu près comme le seroient baucoup de vers de Racine. Mais
Que ces vers plats, se rebondissent du voisinage des autres.
Voylà qui devient coulant et harmonieux par les traits consécutifs, et par la figure ménagée jusqu'au bout de la phrase. Ouy messieurs vous avez tort en tous les vers.
Votre dieu qui m'éclaire et qui précède au cinqème acte un dieu qui m'inspire, est misérable. Le dieu qui m'inspire moy, vous suplie de me laisser faire. J'enverray les corrections. Hâtez l'impression mon cher amy. Je me flatte qu'après ce que vous m'avez écrit, mon juge la Serre recevra avec bonté ma lettre et mes estampes — parlez luy je vous en prie.
Bauche va réimprimer Zaire. Je la corrige. Praut réimprimera la Henriade. Je la corrige aussi. Je corrige tout hors moy. Savez vous bien que je retouche Adelaide, et que ce sera une de mes moins mauvaises filles?
J'ay lu Jules Cesar. Esce mr Algaroti qui a luy même traduit son italien? Aprenez que ce vénitien là a fait des dialogues sur la lumière, où il y a malheureusement autant d'esprit que dans les mondes, et baucoup plus de choses utiles et curieuses.
J'ay lu la Zaire anglaise. Elle m'a enchanté plus qu'elle n'a flatté mon amour propre. Comment, des Anglais tendres! naturels! without bombast! without similes at the end of acts!Quel est donc ce mr Hill, quel est ce gentilhomme qui a joué Orosmane sur le téâtre des comédiens? Cet honeur fait aux arts ne sera t'il pas consacré dans le pour et contre? Autrefois ce p r et contre avoit été contre Zaïre. Ah il doit faire amende honorable.
Ramau s'est marié avec Moncrif. Suije au vieux-sérail? Samson est il abandonné? non qu'il ne l'abandonne pas, cette forme singulière d'opera fera sa fortune et sa gloire.
Thom Grignon de Londres me paroît un bon correspondent. Or voicy une négociation importante que je vous confie pour luy. Il faut qu'il achète de Woodman, libraire, mes planches de la Henriade. Lettre de change sur Demoulin Le payera sur le champ. N'oubliez pas cela, amy aussi essentiel qu'aimable.
J'ay lu Pultney. Pultney ne lira rien de pareil d'un Français. Adieu, j'embrasse les B. c'est à dire Balot, Bernard, Berger.
Quesce que Daïra, que devient la satire de Marivaux, quelles nouvelles des spectacles, quid de te?
V.