1737-11-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bonaventure Moussinot.

Je reçois mon cher ami, votre lettre du 30.

Je vous suis très obligé de la peine que vous avez bien voulu prendre de porter ces cinq cent livres.

Mr Pitot a la bonté de me faire un petit modèle en carton d'une cheminée telle que je la demande. Voudriez vous bien envoyer quelqu'un luy demander de ma part ce modèle? Vous me l'enverriez bien empaqueté par le premier envoy.

Je vous suplie de charger mr Begon d'envoyer un commandement à Demoulin, pour les 1000lt et sitost que le commandement sera fait, je vous prie d'envoyer à sa femme l'écrit cy joint et sur la réponse qu'on fera à cet écrit je régleray mes démarches.

Je vous recomande de vouloir bien tirer des reçus de tout ce que vous donnerez à l'avocat au conseil pour l'affaire de M. de Guise car sans cela ces frais seroient en pure perte, et il est juste qu'ils soient remboursés par Mr de Guise qui m'oblige à les faire.

A L'égard du sr Praut, il doit savoir qu'on ne s'interdit jamais la liberté des éditions étrangères. Sitôt qu'un livre est imprimé à Paris avec privilège, les libraires de Hollande s'en saisissent, et le premier qui l'imprime en Hollande est celuy qui en a le privilège exclusif dans ce pays là, et pour avoir ce droit d'imprimer ce livre le premier en Hollande il suffit de faire annoncer l'ouvrage dans les gazettes. C'est un usage établi et qui tient lieu de loy. Or quand je veux favoriser un libraire de Hollande je l'avertis de l'ouvrage que je fais imprimer en France, et je tâche qu'il en ait le premier exemplaire afin qu'il prenne les devants sur ses confrères.

J'ay donc promis à un libraire hollandois que je luy ferois avoir incessamment L'ouvrage en question dès qu'il seroit commencé d'imprimer à Paris avec privilège, et je luy ay promis cette petite faveur pour l'indemniser de ce que l'on tarde à luy faire achever l'édition des Eléments de Neuton qu'il a commencée il y a près d'un an. Il ne s'agit donc que de hâter le sr Praut afin de hâter en même temps le petit avantage qui indemnisera le libraire hollandais que j'affectionne, et qui est très honnête homme. Le sr Praut sait très bien ce dont il s'agit, mais pour prévenir toutte difficulté je vous envoyai un petit mot que je vous priai de luy faire tenir, et j'attends sa réponse. Je serois surpris qu'il fût mécontent, car encor un coup il doit savoir que son privilège est pour la France et non pour la Hollande. Il n'a même transigé avec mr Pitot pour les éléments de Neuton que sur ce pied là et à condition même qu'on imprimeroit à la fois à Paris et à Amsterdam, et c'est pour cela que j'ay retardé l'impression de cette philosophie en Hollande. Je vous mets au fait, et je vous demande pardon de ce verbiage.

On m'avoit mandé que tous les meubles d'Arouet avoient été brûlez et son logement consumé. Je vois qu'il n'en est rien.

Je croi que mes neveux auront bien de leur père et mère environ trois cent cinquante mille livres à partager. Si vous savez quelque chose de leurs affaires, vous me ferez plaisir de m'en instruire.

J'attends réponse du sr Tiriot, marchand.

Vous m'avez demandé il y a quelques mois une reconnaissance pour le fermier de Belle poule, qui aparemment a fini son bail. Il devoit bien indiquer quel est son successeur. Si vous ne le savez pas je vous conseille d'écrire au fermier de Belle poule en blanc au Pont de Ce, près d'Angers et de luy mander qu'il tienne 2000lt prêts pour le 1er janvier, suivant les termes de mon contract avec mr d'Estain; et qu'il vous mande à qui il faudra s'adresser, et quel est à Paris son correspondant. Si nous ne prenons cette précaution de bonne heure nous ne serons payez que fort tard.

Il faut payer le voiage du chimiste et en demeurer là avec luy. Adieu mon cher abbé.