ce 21 [June 1738] à Cirey
Mon cher amy quand Descartes étoit malade, il ne répondoit pas régulièrement à son père Mersenne.
1º non seulement aucune de ses épîtres dont vous parlez n'est de moy, mais c'est être mon ennemi que de me les attribuer, c'est vouloir me rendre responsable de certains traits qui y sont répandus et dont on dit qu'on a fait un usage extrêmement odieux. Je vous prie instament de représenter ou de faire représenter au gentil Bernard, combien son acharnement à soutenir qu'elles sont de moy, m'est préjudiciable. Je suis persuadé qu'il ne voudra pas me nuire et c'est me nuire infiniment que de m'imputer ces ouvrages. Je remets cela à votre prudence.
Je vous prie de remercier tendrement pour moy le protecteur des arts Mr de Cailus, il a trop de mérite pour avoir jamais pris aucune des impressions cruelles qu'a voulu donner de moy le sr de Launay. Je n'ay jamais mérité l'iniquité de Launay, mais je me flatte de n'être pas tout à fait indigne des bontez de Mr de Cailus dont je respecte les mœurs, le caractère et les talents. En vérité mon cher Tiriot vous ne pouvez pas me rendre un plus grand service que de me ménager une place dans un cœur comme le sien. Je vous supplie de luy présenter un exemplaire de mon Neuton. D'ailleurs je laisse à votre amitié le choix des personnes à qui vous en donnerez de ma part.
Quant au mémoire sur le feu que madame du Chastelet a composé, il est plein de choses qui feroient honneur aux plus grands phisiciens, et elle auroit Eu un des prix si l'absurde et ridicule chimère des tourbillons ne subsistoit pas encor dans les têtes. Il n'y a que le temps qui puisse défaire les Français des idées Romanesques. Mr de Maupertuis, le plus grand géomètre de l'Europe, a mandé tout net que les deux mémoires français couronnez sont pitoyables, mais il ne faut pas le dire.
Je vous envoye une lettre de Mr Pitot, qui vous mettra plus au fait que tout ce que je pourois vous dire sur cette avanture très singulière dans le pays des lettres et qui mérite place dans votre répertoire d'anecdotes.
En voici une qui est moins intéressante, mais qui peut faire nombre. Roussau m'a envoyé cette longue et mauvaise ode dont vous parlez. Il m'a fait dire qu'il me faisoit ce présent par humilité crétienne et qu'il m'a toujours fort estimé, etc.
Je luy ay fait dire que je m'entendois mal en humilité crétienne mais que je me connaissais fort bien en probité et en odes; que s'il m'avoit estimé il n'auroit pas dû me calomnier, et que puisqu'il m'avoit calomnié, il auroit dû se rétracter; que je ne pouvois pardonner qu'à ce prix; qu'à la vérité il y a de l'humilité à faire de pareilles odes, mais qu'il faut être juste, au lieu d'affecter d'être humble.
Vous reconaitrez à cela mon caractère. Je pardonne toutes les faiblesses, mais il est d'un esprit bas et lâche de pardonner aux méchants. Vous devriez sur ce principe mander à Mr Lefranc qu'il est indigne de luy de ménager l'abbé Desfontaines qu'il méprise. Les éloges d'un scélérat ne doivent jamais flatter un honnête homme, et Desfontaines n'est pas un assez bon écrivain pour racheter ses vices par ses talents, et pour donner du prix à son suffrage.
Je souscris au vers de la satire sur l'envie,
et vous devez d'autant plus y souscrire, que ce misérable vous a traitté indignement dans la rapsodie de son dictionaire néologique et dans les lettres qu'il osoit m'écrire autrefois.
Renvoyez nous vite madame de Chambonin et venez vite après elle. Madame du Chastelet et moy nous serions cruellement mortifiez qu'on imputast à Cirey la lettre que vous nous avez envoyée sur le père Castel, et à laquelle nous n'avons d'autre part que de l'avoir lue. Il seroit bien cruel qu'on pût avoir sur cela le moindre soupçon. Vous savez mon cher amy ce que vous nous avez mandé, et votre probité et votre amitié sont mes garants. Je suis bien sûr que si les jésuites m'imputent cet ouvrage, vous ferez ce qu'il faudra pour leur faire sentir combien je suis sensible à cette calomnie.
Envoyez moy la lettre contre les élémens de Neuton. S'il y a du bon j'en profiteray.
Adieu mon cher amy, je vous embrasse avec tendresse. Mandez moy je vous prie à qui vous aurez donné des Neutons, pour ne pas tomber dans les doubles emplois. Comment va votre santé? La mienne s'en va au diable.
Répondez à votre tour, article par article.
Voicy une lettre pour notre prince à l'adresse qu'il m'a donnée.