[10 December 1738]
Je me vange de vos critiques sur notre amy mr de La Bruere.
Vous me donnez le fouet et je le luy rends. Il est vray que j'y vais plus doucement que vous mais c'est que je suis du métier, et je ne sçais que douter quand vous savez affirmer. Je suis peutêtre aussi exact que vous, mais je ne suis pas si sévère. Voicy donc mon cher amy son opera que je luy renvoye avec mes apostilles et une petite lettre, le tout adressé à père Mersenne.
Je me rends sur quelques unes de vos censures. Je crois que vous serez moins mécontent de la façon dont les quatre épîtres 1ères seront imprimées en Hollande. Il falloit se hâter, car les libraires de ce pays là n'attendent pas. Je suis un peu plus le maître des français. Vous aurez incessamment l'épitre qui vous regarde baucoup plus correcte que la hollandaise. L'épitre sur l'homme est toute changée, et va paraître: vous l'aurez avant qu'elle soit donnée à l'imprimeur.
Celle sur la nature du plaisir est précisément celle dont la fin est adressée au Prince royal, comment ne vous en êtes vous pas aperçu? comment n'avez vous pas vu que Le plaisir est Le sujet de tout ce poème? comment enfin n'avez vous pas reconu les vers que je vous demandois? Grâce à Apollon, je les ay retrouvez et refaits pour vous épargner la peine de me les envoyer.
Je ne crois pas que Pollion soit fâché de mes contrecritiques, mais, je crois que vous voyez tout deux combien l'art des vers, et l'art de juger sont difficiles. Plus on connoit l'art plus on en sent les épines.
J'ay reçu belles et bonnes lettres de mrs Dubos et Formont.
Ne vous hâtez pas de juger mr du Faÿ, cela est trop français. Attendez au moins que vous ayez lu son factum. Je dois souhaiter qu'il ait tort, mais je suis bien loin de le condamner.
Je ne me rends point sur le Desfontaines et je vous soutiens que le pied plat dont vous me parlez qui vous a si indignement acoutré dans son libelle néologique, c'est luy même. Mais je ne vous dis que ce que vous savez. Vous cherchez à ménager un monstre que vous détestez et que vous craignez. J'ay moins de prudence, je le hais, je le méprise, je ne le crains pas, et je ne perdray aucune occasion de le punir. Je sçais hair parce que je sçais aimer. Sa lâche ingratitude, le plus grand de tous les vices m'a rendu irréconciliable.
Madame du Chastelet attend les plumes et le Sgravesende, et vous aime toujours.
Que l'empereur fasse faire un portrait comme le vôtre, je le luy payeray.
En vous remerciant d'avoir vu mr Vanhoy. Mais il se trompe, il ne m'a écrit qu'avant Fontaineblau. Je travaille nuit et jour, et c'est pour vous plaire. Adieu mon cher amy.
Vale.