1738-05-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

En réponse à la vôtre du 14.

J'ay reçu mon cher amy non seulement Le paquet de notre prince, mais deux autres paquets de sa part par d'autres voyes.
Il y a eu du mal entendu dans les postes, c'est pourquoy ces deux autres paquets n'ont point passé par vos mains, mais àprésent tout est en règle. Il faut que vous soyez l'unique Lien de cette correspondance. Souvenez vous seulement de venir à Cirey au mois d'aoust. Je vous aprendray bien des choses.

Voicy la vraie table telle que je l'ay pu faire pour ajuster Les idées de Neuton aux règles de la musique. Montrez cela à Orphée Euclide. Si à quelques commas prés cela n'est pas juste, c'est Neuton qui a tort. Et pourquoy non? Il étoit homme et il s'est trompé quelquefois. Vous êtes un père Mersenne qu'on ne sauroit trop aimer. Je vous ay bien des obligations, mais vous n'êtes pas au bout. Je viens enfin de voir le livre, il fourmille de fautes. Il est absolument nécessaire que L'on envoye en Angleterre mon petit mémoire. Je vous prie d'en faire transcrire une ou deux copies et d'engager mr Clement à faire tenir ce paquet aux journalistes anglais.

Demandez à mrs Nicole et Bremont si la fin de L'ouvrage n'est pas un peu plus embrouillée que le reste, si par exemple depuis la page 318 on retrouve le même stile, et la même méthode. Demandez cela encor un coup, et je vous diray ensuitte pourquoy.

On vient de déballer l'Argaloti. Il est gravé au devant de son livre avec madame du Chastelet. Elle est la véritable marquise. Il n'y en a point en Italie qui eût donné à l'auteur d'aussi bons conseils qu'elle. Le peu que je lis de son livre en courant me confirme dans mon opinion. C'est presque en italien ce que les mondes sont en français. L'air de copie domine trop et le grand mal c'est qu'il y a baucoup d'esprit inutile. L'ouvrage n'est pas plus profond que celuy des mondes. Je crois qu'il y a plus de véritez dans 10 pages de mon ouvrage que dans tout son livre, et voylà peutêtre ce qui me coulera à fonds, et ce qui fera sa fortune. Il a pris les fleurs pour luy, et m'a laissé les épines.

Voicy encor un autre livre que je vais dévorer, c'est la réponse à feu Melon. Comment nommez vous l'auteur? Je veux savoir son nom, car vous l'estimez.

Montrez donc ma table, et mon mémoire à Pollion puisqu'il lit mon livre, afin qu'il rectifie une partie des erreurs qu'il trouvera en son chemin. Je voi que mon mémoire fera tomber le prix du livre. Les libraires le méritent bien, mais je ne veux pas me déshonorer pour les enrichir.

Adieu mon cher amy. Soyez donc de la noce de ma nièce, au moins.

J'oubliois de vous dire combien je suis sensible à la justice que me rendent ceux qui ne m'imputent point ces trois sermons rimez auxquels je n'ay pas plus pensé que Roussau à être homme de bien.

Encor un mot. Je suis charmé que vous soyez en avance avec le prince. Il est bon qu'il vous ait obligation. Ce n'est point un illustre ingrat; il n'est àprésent qu'un illustre indigent.

V.

Je vous embrasse tendrement: embrassez Serizi. Nota bene que

quæ legat ipsa Licoris

est très joli, mais ce n'est pas pauca meo Gallo; c'est plurima Bernardo.