à Cirey le 24 octobre 1736
Je reçois votre lettre du 11 mon aimable correspondant.
Il faut absolument que vous me rendiez le service d'aller trouver le plus aimable philosophe qui soit en Europe; c'est mr de Mairan. Je lui demande pardon à genoux d'avoir confié son mémoire au petit la Marre, qui me promit, à mon départ, de l'aller rendre sur le champ. Ce n'est pas la seule fois qu'il a trompé ma confiance. Je l'avais chargé de porter plusieurs Alzires; il en fit un autre usage. Je lui pardonne tout hors sa négligence pour mr de Mairan. Je recevrai avec résignation toutes les critiques de mr d'Argental: mais on ne peut pas toujours exécuter ce que nos amis nous conseillent. Il y a d'ailleurs des défauts nécessaires. Vous ne pouvez guérir un bossu de sa bosse, qu'en lui ôtant la vie. Mon enfant est bossu; mais il se porte bien.
Je ne sais si les clameurs de ce monstre de Desfontaines font impression; mais je sais que sa conduite avec moi est bien plus horrible que ses critiques ne peuvent être justes. On m'assure que le Desfontaines des poètes, Rousseau, est chassé sans retour de chez le duc d'Aremberg. Je ne veux point d'autre vengeance de son libelle diffamatoire.
J'ai reçu une lettre de mr Pitot, dont je suis très content. Je vous prie de le sonder, pour savoir s'il serait d'humeur à revoir, à corriger un manuscrit de philosophie, à rectifier les figures mal faites & à conduire l'impression. Je doute qu'il en ait le temps & je n'ose le lui proposer.
A l'égard de mon affaire, j'ai bien des choses à dire, qui se réduisent à ceci. Je suis très mécontent & n'ai nulle envie de revenir à Paris. Mes compliments aux Tiriot et aux Rameau. Songez surtout qu'il n'est pas vrai que j'aie fait l'Enfant prodigue.
J'oubliais de vous dire que j'ai reçu les trois pièces de théâtre. Nous avons lu une scène de chacune & nous avons jeté le tout au feu.
Ne m'oubliez pas auprès de mrs Dubos & Melon. Nous ne jetons point au feu les réflexions sur la peinture, ni la Ligue de Cambrai, ni l'essai sur le commerce : libellum aureum. Prault m'a écrit. C'est un négligent. J'attends les épreuves. Adieu, mon cher ami.