à Cirey le [c. 25 November 1736]
Voici le Mondain pour ce qu'il vaut.
La petite vie, dont il y est parlé, vaut beaucoup mieux que l'ouvrage. Je me mêle aussi d'être voluptueux; mais je ne suis pas tout à fait si paresseux que ces messieurs dont vous faites si bien la critique, qui vantent un souper agréable en mourant de faim & qui se donnent la torture pour chanter l'oisiveté.
Les comédiens comptaient qu'ils auraient une pièce de moi cet hiver; mais ils ont très mal compté. Je ne fais point le fin avec vous. Je me casse la tête contre Newton & je ne pourrais pas à présent trouver deux rimes. J'avais fait l'Enfant prodigue à Pâques dernier. Il était raisonnable que dans ce saint temps je tirasse mes farces de l'évangile. Dieu m'aida & cela fut fait en quinze jours. Depuis ce temps je n'ai vu que des angles, des a& des b, des planètes & des comètes; mais Mercure n'est pas plus éloigné de Saturne, que cette étude l'est d'une tragédie.
Est il vrai que ce monstre d'abbé Desfontaines a parlé de l'Enfant prodigue? Ce brutal ennemi des mœurs & de tout mérite saurait il que cela est de moi? Mettez moi un peu au fait, je vous en prie, & continuez à écrire à votre véritable ami.
Je vous supplie de déterrer mr Pitot de l'Académie des sciences. Il demeure Cour du Palais chez mr Arrouet, trésorier de la chambre des comptes. Rendez lui cette lettre; & réponse. Vale, te amo.