à Paris ce jeudi au soir [14 fevr. 1737]

Je ne vous envoye point L’épître de Gresset ni L'ode de Rousseau parceque je suis persuadé que Caillouet Les a Reçus àprésent.
L’épître est mauvaise, elle ne dit Rien, ce ne sont que des mots et qui ne sont pas Bien arrangés. Les périodes sont Longues et embarassées, L'entremêlement des Rimes n'est point heureux, ce qui fait tomber Le stile dans le prosaique. Enfin s'il ne fait pas mieux que cela je l'abandonne. Pour L'ode c'est une amplification d'un jeune Rethoricien qui fait des vers communs assés exactement. La négotiation pour Le Retour de Rousseau est Rompue à ce qu'on m'a assuré. Toutes Les histoires que je vous ay mandées de Voltaire sont fausses. Il est fort tranquille à Leide où il travaille à faire imprimer son ouvrage sur Neuton et une Belle édition de toutes ses oeuvres. J'ay Reçu hier une longue Lettre de m^de du Chatelet. Elle veut que [je] Luy dise mon avis sur L'enfant prodigue et je le Luy dis avec la sincérité d'un philosophe qui sait mal farder La vérité. A L’égard du manuscrit envoyé à Dargental je doute qu'il L'ait été parceque le désastre de V. est tombé juste dans le temps qu'il vous écrivit, et il pourroit Bien l'avoir oublié. Je n'ay point vu Dargental. Son père est mort depuis peu, ce qui Luy a donné des affaires. D'ailleurs il est amoureux d'une m^elle Dubouchet qu'il veut épouser. Ses amis à Luy L'en Détournent, Les amis de la demoiselle l'y poussent, et L'amour qui pousse encor mieux pourra bien L'y déterminer. Je tâcheray pourtant de le Rencontrer et je sauray ce qui en est du manuscrit. Il ne paroît pas ici La moindre chose qui vaille. Nous aurons L’école des amis au premier jour, je vous manderay ce qui en sera. On en dit du Bien d'avance. Je viens d'entendre Persee sans le voir. Le 3^e et le 4^e acte sont admirables pour La musique mais c'est de la grande musique noble, Caractérisée et cela ne durera pas quinse jours à ce que je croy. D'ailleurs il faut Convenir qu'il n'est pas intéressant, que Les scènes sont d'une longueur extraordinaire et que par dessus cela tous les flageollets d'actrices de L'opéra ne sauroint faire valoir Le Récitatif de Luilli. Le seul Jeliot m'a fait plaisir dans Le Rôle de Mercure.

Il n'y a pas un Livre nouveau qu'on puisse citer honnestement. La 7^e partie de Mariamne paroit, mais elle ne Réussit pas. La suite de Cleveland n'est que pour pâques. Il ne court pas que je sache Le moindre Bout de vers. Il y a un abé de Verni je croy dont on m'a parlé qui a fait quelque chose. C'est l'autheur de L’épître aux dieux pénates qui n'est pas Bonne en général mais qui annonce Du talent et où il y a Bien du tour. Il a planté Là s^t Sulpice et La Route des Bénéfices pour faire des vers tout à son aise et en cela il y a sans doute du bon. Adieu mon cher ami. Mille complimens à Debourgteroude et aux Frequiennes quand vous les verrés. Je vis l'autre jour 80 chevaliers de Malte Rassemblés et je me trouvay tout heureux qu'un certain Commandeur n'y fut pas.