à Paris ce Lundi au soir [January/February 1731]

Je suis ce soir Comme un petit secrétaire d’état, voicy La quatrième lettre que j’écris, et assurément mon cher amy ce n'est pas celle qui me fait Le moins de plaisir.
Vous me donnés Dans La vôtre des Louanges, et des marques d'amitié, et je ne souhaitte être digne des unes que pour mériter Les autres. Je tâches de profiter de mon séjouren ce pays cy pour y jouir des amusemens auquels je suis sensibles. Je tâcheray d'avoir assés de philosophie pour Les quitter sans Beaucoup de Regret, et vous serés assurément un des points principaux de cette philosophie.

Voltaire m'avoit dit Les vers qu'il vous a envoyés. Ils sont jolis, Les vôtres ont été trouvés tels par touts ceux qui les ont entendus. Les 2 femmes de Paris qui je croy ont Le plus d'esprit, m^de du Deffend et m^dlle de Launay, m'en ont paru très contentes, ce qui a paru trop long a toujours paru ingénieux.

Voltairre s'en va en Angleterre. Il poura bien y faire La mort de Caesar. Je ne croy pas qu'il Réusisse mieux qu’à Brutus. Il disoit L'autre jour qu'il n'avoit qu'un demy génie pour le dramatique. Je Luy dis que c’étoit un génie et demy mais je le Crus cependant, son talent est de peindre et non d'inventer. De m^r de Lamotte et de Luy on eût fait un grand homme. Je luy entendray demain Lire Le 2^d volume de Charle 12. Cela est très agréablement écrit. M^r de Fontenelle en fait grand cas, m^r de Lamotte un peu moins mais en convenant pourtant que cet ouvrage Luy fera une juste Réputation.

Demain ou après demain paroitront Les œuvres Diverses d'Hamilton. Le Recueil n'a pas été fait avec choix et il y a Beaucoup de Bourre, mais de très jolies choses quoy que toujours semées de grandes négligences. Je vous L'enverray si vous Le voulés. On voit icy depuis 2 jours une nouvelle édition d'Hollande de Marot en 2 volumes in 4. et 6 volumes in 12. Il y a quelque chose de nouveau, cela n'est bon que pour Les fureteurs de vers, qui veulent Bien essuyer de L'ennuy pour trouver cinq ou six vers Bien tournés. C'est l'abé Langlet qui est l’éditeur.

Mille complimens je vous prie à m^r et à m^de De Frequiennes et à notre amy Brevedent de L'amitié duquel je me vante à tous ceux qui le connoissent et auprès de qui c'est sûrement ma meilleure qualité. Je Luy aurois écrit si on le pouvoit faire sans se Brouiller avec Luy et si j'avois pu espérer qu'il ne m'eût point fait Réponce. Vous ne me dites Rien de la santé de Dubourgtroude, ainsi je La supose Bonne quoy qu'on m'ait dit icy qu'elle étoit mauvaise. Adieu mon cher amy, aimés moy toujours autant qu'un Cœur Reconnoissant le doit faire. Mes Complimens je vous prie à mr le c^r de Cretat.