à Cirey [c. 10 November 1736]
Je reçois votre lettre du 8.
Je fais partir cet ordinaire la pièce & la préface pour être imprimées par le libraire qui en offrira davantage; car je ne veux faire plaisir à aucun de ces messieurs qui sont, comme les comédiens, crées par les auteurs, & très ingrats envers leurs créateurs.
Je suis indigné contre Prault de ce qu'il ne m'envoie point le carton du portrait de mr le duc d'Orléans, & de ce qu'il ne m'envoie point la préface imprimée & de ce qu'il a l'impertinence de ne pas répondre exactement à mes lettres. Faites lui sentir ses torts & punissez le en donnant la pièce à un autre.
Vous aurez la Newtonade ou plutôt l'Eucliade. Tiriot doit vous la faire voir; mais il faut être un peu philosophe pour aimer cela.
Je vous prie de passer chez l'abbé Moussinot. Il y a une très jolie pendule d'or moulu, dont je veux faire présent à mlle Quinault, pour ses peines. Voyez si vous voulez avoir la bonté de vous charger de faire ce présent? Vous n'avez pas besoin de cela pour être reçu à merveille; mais ce sera un petit véhicule pour vous faire avoir vos entrées. Il faudra forcer mlle Quinault à accepter cette bagatelle. Voilà déjà une petite négociation en attendant mieux.
A l'égard de l'Enfant prodigue il faut qu'il soit mieux que la Henriade. Je suis honteux de la négligence de Prault; mauvais papier, mauvais caractère: point de table, cela est honteux.
Vous trouverez la pièce & la préface chez mr d'Argental, qui vous remettra l'une & l'autre: ainsi négociez avec le libraire le moins fripon & le moins ignorant que faire se pourra.
Comment pourrait on faire pour avoir par écrit le procès de Castel & de Rameau? Vous êtes un correspondant à qui on peut demander de tout. Envoyez moi ce procès. Ecrivez moi souvent. Sachez comment va l'Enfant prodigue. Aimez le père qui vous aime de tout son cœur.
Je défie mr le chevalier de Villefort d'avoir dit & même d'avoir connu combien on est heureux à Cirey. Les nuages que les Rousseau & les Desfontaines veulent élever du sein de la fange où ils rampent ne vont pas jusqu'à moi. Je crache quelquefois sur eux; mais c'est sans y songer. Adieu.