1736-07-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à — Berger.

Vous êtes le plus aimable & le plus exact correspondant du monde.
Voilà la Henriade sous votre coulevrine. Je ne veux plus rien y changer, après que vous aurez dirigé cette édition. Je regarde la peine que vous prenez, comme la bordure du tableau & le dernier sceau à la réputation de l'ouvrage, s'il en mérite quelqu'une. Prault n'ira plus vite; ainsi je serai toujours à portée de corriger quelques vers, quand vous m'en indiquerez. J'attendais de bonnes remarques de notre ami Tiriot; mais il est critique paresseux, autant que juge éclairé. Réveillez un peu, je vous prie, son amitié & sa critique. Marquez moi franchement les vers qui vous déplairont à vous & à vos amis. C'est pour vous autres que j’écris; c'est à vous que je veux plaire. Il est vrai que mes occupations me détournent un peu de la poèsie. J’étudie la philosophie de Newton sous les yeux d'Emilie qui est à mon gré encore plus admirable que Newton. Je compte même faire imprimer bientôt un petit ouvrage qui mettra tout le monde en état d'entendre cette philosophie, dont le monde parle & qu'on connaît encore si peu; mais dans les intervalles de ce travail la Henriade aura quelques uns de mes regards. L'harmonie des vers me délassera de la fatigue des discussions. Rousseau peut écrire contre moi, tant qu'il voudra. Je suis beaucoup plus sensible aux vérités que j’étudie & qui me paraissent éternelles, qu'aux calomnies de ce pauvre homme, qui passeront bientôt. Malheur surtout dans ce siècle à un versificateur qui n'est que versificateur.

A-t-on imprimé les harangues des nouveaux récipiendaires à l'Académie? Adieu, mille compliments à tous nos amis, à ceux qui font des opéras, à ceux qui les aiment. Je vous embrasse.

Si vous voyez mr de Mairan, je vous prie de lui demander si mr de la Marre lui a remis une brochure qu'il avait eu la bonté de me confier. C'est un philosophe bien aimable que ce mr de Mairan. Il semble qu'il a raison dans tout ce qu'il écrit.

J'ai reçu les lettres que mr Duclos a bien voulu me renvoyer. Je lui écrirai pour le remercier.