A Cirey, le 9 février [1736]
Un peu de maladie, monsieur, m'a privé de la consolation de vous écrire des pouilles de ma main.
Je me sers d'un secrétaire; je me donne des airs d'intendant. Hélas! cruel que vous êtes, c'est bien vous qui faites l'intendant avec moi, en ne répondant pas à mes requêtes! J'avais cru vous faire ma cour et flatter votre goût, en vous envoyant, il y a quelques mois, une scène tout entière traduite d'un vieil auteur anglais, mais vous ne vous souciez ni de l'Anglais ni de moi. Vous aviez promis à madame du Châtelet des petits cygnes de Moulins et des petits bateaux. Savez vous bien que des bagatelles, quand on les a primises, deviennent solides et sacrées, et qu'il vaudrait mieux être deux ans sans faire payer la taille aux peuples de la mère aux gaînes que de manquer d'envoyer des petits cygnes à Cirey? Vous croyez donc qu'il n'y a dans le monde que des ministres, Moulins et Versailles?
En lisant aujourd'hui des vers anglais de Pope, sur le bonheur, voici comme j'ai réfuté ce raisonneur:
Mettez l'amitié à la place de l'amour, et vous verrez combien vous manquez à ma félicité. Donnez moi au moins votre protection, comme si j'étais né dans Moulins. Ayez pitié de cette pauvre Alzire que l'on imprime, à ce qu'on m'a dit, furtivement, comme on a imprimé le Jules César. Il est bien dur de voir ainsi ses enfants estropiés. M. Rouillé peut, d'un mot, empêcher qu'on me fasse ce tort; c'est à vous que je veux en avoir l'obligation. Si vous me rendez ce bon office, j'aurai pour vous bien du respect et de la reconnaissance; et si vous m'écrivez, je vous aimerai de tout mon cœur.