à Ephèse 26 févr 1762
Votre excellence est bien persuadée de tous les sentiments que le roi mon maître a pour elle.
Il s'intéresse à votre santé: il m'en a parlé avec une sensibilité qui est bien rare dans les personnes occupées de grandes affaires. C'est un exemple que vous lui avez donné. Il sait que dans la guerre, et dans les négociations, vous avez toujours cultivé l'amitié, et que vous paraissez toujours occupé de vos amis comme si vous aviez du temps de reste. Votre caractère l'enchante. Il a été lui même assez malade, mais dès que s. mté macédonienne a été en état de raisonner je lui ai fait part de vos remontrances. Il admire toujours la sagacité de votre génie, et la facilité de vos moyens. Il dit qu'il n'a jamais connu d'esprit plus conciliant. J'ai pris ce temps pour lui dire, Faites donc ce qu'il vous propose. Il m'a répondu que cela lui était impossible. Mettez vous à ma place, m'a-t-il dit, que m'importe d'avoir autrefois donné un coup de sabre à une Persane? Quels si grands remords pourrais je en avoir, si je n'étais pas éperdument amoureux de sa fille? N'ai je pas dit exprès à mon maître de la garde-robe:
Vous savez, a-t-il ajouté, qu'on ne s'intéresse guère qu'à nos passions, et très peu à nos dévotions. Si je me suis confessé, et si j'ai communié on sent bien que c'est pour Olympie. J'insiste encore sur les ridicules qu'on me donnerait si mon père et moi avions eu pendant treize ans la fille d'Alexandre entre nos mains après l'avoir prise dans son palais et que nous n'en sussions rien.
Je ne vois d'autre réponse à cet argument que de bâtir un roman à la façon de Calprenède et de supposer un tas d'aventures improbables, d'amener quelque vieillard, quelque nourrice qu'il faudrait interroger; et ce nouveau fil romprait infailliblement le fil de la pièce. L'esprit partagé entre tant d'événements perdrait de vue le principal intérêt. Il y a bien plus, dit il, une reconnaissance est touchante quand elle se fait entre deux personnes qui ont intérêt de se reconnaître. Mais Cassandre en apprenant que sa maîtresse est la fille de Statira, n'apprendrait qu'une très fâcheuse nouvelle. De plus, il faudrait deux reconnaissances au lieu d'une, celle d'Olympie, et celle de Statira, l'une ferait tort à l'autre. Je vous avoue que j'ai été fort ébranlé de toutes ces raisons que le roi mon maître m'a déduites fort au long, et dont je communique le faible précis à v. excellence. Je l'en fais juge et je la supplie de considérer dans quel embarras elle nous jetterait s'il fallait refondre toute la pièce uniquement pour faire apprendre par Antigone ce qu'on peut très bien savoir sans lui.
On m'a envoyé du petit royaume des Gaules situé au bout de l'occident un petit écrit concernant des prêtres des idoles qu'on appelle jésuites. Je ne sais ce que c'est que cette affaire, on ne s'en soucie guère à Ephèse. J'en fais part à tout hasard à votre excellence. Statira, Olympie et l'hiérophante font mille vœux pour vous et madame l'ambassadrice.