[November 1761]
On ne saurait dissimuler que la mort extraordinaire, surnaturelle de Statira ne choque également tout le monde.
Il ne faut pas espérer qu'elle réussisse mieux au théâtre qu'à la lecture. Il est au contraire plus que probable que cette mort tuera la pièce, et que le cinquième acte ne produira point d'effet . . . .
Dans ce plan, on ôte le défaut majeur de la mort bizarre de Statira. On rend Cassandre agissant, disons mieux, on le fait être ce qu'il doit être, et faire ce qu'il doit faire; car n'est il pas inconcevable qu'un roi jeune, passionément amoureux, qui a une armée, reste dans sa cellule à dire son chapelet pendant qu'il s'agit de tout pour lui; qu'il se laisse arrêter par une prétendue loi dont il soit se moquer; qu'il attende que son sort soit décidé par un prêtre qui le traite comme un enfant, et une jeune personne, qui à la vérité l'aime, mais qui dépend d'une mère impérieuse qui est son ennemie mortelle, et qui n'a que de trop fortes armes contre lui? Encore une fois, peut on concevoir que, dans une situation aussi critique, il reste les mains dans ses poches à attendre ce qui en arrivera? Cette résignation est celle d'un novice (jésuite encore) qui n'ose penser que d'après son général, mais elle n'est pas celle d'un roi armé du plus respectable, du plus incontestable de tous les droits, de celui d'époux. — Mais Cassandre est fait ainsi; il a fait des expiations, il craint les dieux. —Oui, il a fait des expiations, mais quand? dans un temps où tout cela se rapportait à son amour, en était autant d'actes, innocentait, si on peut se servir de ce terme, sa passion à ses yeux; enfin, quand rien de tout cela n'allait contre son but. D'ailleurs on nous a peint ce même Cassandre comme variable, tantôt craintif, tantôt téméraire, tantôt soumis, tantôt révolté; ainsi on ne peut pas dire qu'on le change tout d'un coup de caractère. Au contraire, on justifie celui qu'on lui a donné, et assurément si ce caractère est tel, c'est bien le moment de la variation, celui de ne pas tenir compte de ces scrupules de religion qui l'intimidaient, ni de rien, quand on veut lui ôter sa femme qu'il adore. Cela est dans la nature, le reste n'y est pas.
Il résulte un autre avantage de ce plan qui est le plus grand, d'avoir un cinquième acte en action, en grands mouvements, au lieu d'un qui ne roule que sur les difficultés successives qu'on fait à cette Olympie, qui n'a pas trouvé le secret d'intéresser sur son projet de se faire religieuse et qui la menait au bûcher: acte froid, vide, et qui sera la pierre d'achoppement de la pièce.
Au reste, on est bien éloigné de croire en avoir imaginé un où il n'y ait rien à dire; il faudrait qu'on fût devenu fou à enfermer: on l'est tout autant d'avoir voulu dicter les discours que doivent tenir les personnages. Mais quand on veut faire un plan, il faut bien imaginer les scènes; quand on parle des scènes, il faut bien dire à peu près sur quoi on croit qu'elles doivent rouler. Il n'y a peut-être dans tout cela rien qui vaille, à la bonne heure; mais si cela peut servir à faire entendre à m. de V . . . . qu'il ne faut pas que Statira meure subitement, qu'il faut qu'Olympie intéresse et touche, qu'il faut surtout un cinquième acte plus étoffé, plus digne de terminer une belle pièce que celui qui existe, qu'il y entre ou n'y entre pas la moindre chose de tout ceci, on n'aura pas regret à sa peine.