1777-12-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je ne vous parlerai pas aujourd'hui, mon cher ange, des deux enfants que j'ai faits dans ma quatre-vingt-quatrième année.
Vous les nourrirez s'ils vous plaisent; vous les laisserez mourir s'ils sont contrefaits. Mais je veux absolument vous parler d'un autre monstre, c'est de cet animal amphibie qui n'est ni fille, ni garçon; qui est, dit on, habillé actuellement en fille; qui porte la croix de st Louis sur son corset, et qui a comme vous douze mille francs de pension. Tout cela est il bien vrai? Je ne crois pas que vous soyez de ses amis s'il est de votre sexe, ni de ses amants s'il est de l'autre. Vous êtes à portée plus que personne de m'expliquer ce mystère. Il ou elle m'avait fait dire par un Anglais de mes amis, qu'il, ou elle, viendrait à Ferney, et j'en suis très embarrassé.

Je vous demande en grâce de me dire le mot de cette énigme.

Je ne sais point de nouvelle de la santé de mr de Thibouville, vous croyez bien que je m'y intéresse. La mienne est bien déplorable, vous savez que je n'ai pas besoin d'un fort hiver.

Je remercie de loin votre très aimable secrétaire qui a bien voulu raccommoder les langes de mon dernier enfant. Savez vous bien que je vous en enverrais encore un autre, si celui là ne mourait pas en nourrice? Il est plaisant que je sois si prolifique en étant continuellement à la mort.

Avez vous mis en nourrice mon Constantinopolitain chez mr le maréchal de Duras? Je ne vous fais cette question, mon cher ange, que pour vous remercier de vos bontés, car je ne suis pressé de rien. Si j'avais des passions vives ce serait de venir me mettre à Paris sous les ailes de mon ange. Je me recommande à mr de Thibouville.

V.