1777-12-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange, pardon de tant de vers.
Je vous en ai dépêché plusieurs, aussi bien qu'à m. de Thibouville. Je vous afflige encore d'un nouvel envoi. Je demande pardon au très aimable secrétaire, de fatiguer à ce point sa belle main que je suppose faite pour des emplois plus agréables; mais enfin, mon cher ange, tous ces nouveaux vers étaient nécessaires pour justifier pleinement Alexis, et pour fermer la bouche aux détracteurs. Tout ce que je crains à présent, c'est qu'Alexis ne paraisse trop innocent, et qu'Irène ne soit regardée comme une bégueule de dévote, qui aime mieux se tuer pour plaire à dieu que de coucher avec son amant.

Je ne sais pas si mademoiselle Déon couchera avec le sien. Je ne puis croire que ce ou cette Déon, ayant le menton garni d'une barbe noire très épaisse et très piquante, soit une femme. Je suis tenté de croire qu'il a voulu pousser la singularité de ses aventures jusqu'à prétendre changer de sexe pour se dérober à la vengeance de la maison de Guerchy, comme Pourceaugnac s'habillait en femme pour se dérober à la justice et aux apothicaires.

Toute cette aventure me confond. Je ne puis concevoir ni Déon, ni le ministère de son temps, ni les démarches de Louis XV, ni celles qu'on fait aujourd'hui. Je ne connais rien à ce monde. Je mets sous vos ailes Byzance et ses faubourgs; je m'y mets surtout moi même.

V.