1770-05-31, de Catherine II, czarina of Russia à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, Vos deux lettres, la première du 10, la seconde du 14 d'Avril me sont parvenue l'une après l'autre avec leurs incluses.
Tout de suite j'ai comandée deux chars selon le dessein et la description que Vous avés bien voulu m'envoyer, et dont je Vous suis bien obligée. J'en ferai faire l'épreuve en ma présence, bien entendu qu'ils ne feront mal à persone dans ce moment là. Nos Militaires convienent que ses chars feroit leurs effets contre des troupes rangées; ils ajoutent que la façon d'agir des Turks dans la Campagne passée étoit d'entourer nos troupes en ce dispersant, et qu'il n'y avoit jamais un escadron ou bataillon ensemble. Les Janissaires seuls choisissoit des endroits couverts come bois, chemin creux etc: pour attaquer par troupes, et alors les canons font leurs effets: en plusieurs occasions nos soldats les ont reçu à coup de bayonetes et les ont fait rétrograder.

La Traduction du charmant petit poème de Mr Plokof m'a fait un plaisir infini, il est aussi rempli de feu et d'imagination que pourroit l'être l'ouvrage d'un jeune home, mais à la raison supérieure qui y règne l'on voit bien qu'il y a déjà quelque tems que Mr Plokof a quité les Universités: come cet home là est Allemand, il y a apparence qu'il fera gagner plus d'un procès à la Chambre Impériale de Wetzlar, lorsqu'il ce donera la peine de plaider les juges ce rangeront aisément de son côté. Je reconais partout Votre amitié pour moi, l'envoy du Poème de Mr Plokof en est une nouvelle preuve à laquelle je suis bien sensible.

L'Offiçiers qui vouloit venir ici et qui aulieu de cela s'est engagé dans les troupes de Geneve étoit apparament avide de combats, il en a trouvé à Geneve, il s'y est fixé, il a pensé peutêtre que les plus proches avoit au moins cette comodité qu'ils épargnait les fatigues du chemin. Il est difficile à comprendre coment la petite Ville de Geneve s'i prend pour avoir si longtems une guerre Civile dans ses murs. Je suppose que s'est état plait au deux partis, sans quoi ses petits différens devroit tomber d'eux même sinon faute de combattant.

Vous avés raison Monsieur, l'Eglise Grecque voit jusqu'ici partout le dos des Musulmans et même en Morée. Quoique je n'aye point encore de nouvelle directe de ma flotte, cependant les nouvelles publiques répètent tant qu'elle s'est emparée du Peloponese, qu'à la fin il faudra bien croire qu'il en est quelque chose. La moitié de ma flotte n'y était point encore lorsque la descente s'est faite. Je n'ai point reçue la prophétie de Cheseaux ou bien aussi je l'ai jetée au feu avec plusieurs autres qu'on m'a addressé depuis un ans. Mais Monsieur Vous me permettrés de ne point confondre Mr Plokof avec les faiseurs de prophéties tirée de l'Apocalipse. Soyés assurés aussi que je fais un cas infini de Votre amitié, des témoignages réïtérés que Vous m'en donné. Je suis très sensible encore à la part que Vous prenés à cette guerre, qui finira come elle pourra, nous aurons à faire à Moustapha de près ou de loin come la Providence le jugera à propos, mais quoiqu'il en soye je Vous prie d'être assuré que Caterine seconde ne cessera jamais d'avoir une estime et considération particulière pour l'Illustre Hermite de Ferney.