Ce 9/20 d'Août 1770
Monsieur, Vous me dites dans Votre lettre du 20 de Juillet que je Vous done des craintes pour Vous tenir en haleine et que mes Victoires font Vos consolations.
Voiçi une petite dose de ses dernières que j'ai à Vous doner. Je viens de recevoir un Courier qui m'a apporté les suites de la bataille du Kagul. Mes troupes ce sont avancée sur le Danube et ont pris poste sur le bord de ce fleuve vis à vis d'Isakchi. Le Visir et l'Aga des Janissaires s'est sauvé sur l'autre bord, mais le reste de son monde qui a voulu l'imiter a été tué, noyé, dispersée. Il a fait abattre le pont. Près de deux mille Janissaires ont été fait prisoniers en cette occasion, vingt canons, cinq mille cheveaux, un butin imense et une grande quantité de vivres de tout espèce sont tombé entre nos mains. Les Tartares tout de suite ont envoyé prier le Maréchal Cte: Roumenzof de les laisser passer en Crimée. Il leur a fait répondre, qu'il exigeait leurs homages et il a envoyé un corps considérable à main gauche vers Ismail, pour leur faire une douce violence. Il y a longtems que nous savons qu'ils ne demandent pas mieux, et que seulement ils évitent le reproche de Félonie. Outre cela la conformité de leur Religion avec celle des Turks, inspiroit des scrupules à quelques Moursa ou chefs de hordes. Cependant souvent en soupirant ils disoit entre eux que les Tartares de Kasan leur confrère et parens, vivoit heureux sans guerre ni oppression. Notés s'il vous plait que ses derniers bâtissent une très belle Mosquée de Pierre.
Les nouvelles de la Grece et celle même de Constantinople confirment les bruits des trois échec souffert par la Flotte Turque.
Vous ne voulés point de paix Monsieur; soyés tranquile, jusqu'içi on n'en entend point parler. Je conviens avec Vous que s'est une bone chose que la Paix, lorsqu'elle existoit je croyois que s'étoit le non plus ultra du bonheur. Me voilà depuis près de deux ans en guerre, je vois que l'on s'accoutume à tout. La guerre en vérité a des momens bien bons aussi. Je lui trouve un grand défaut s'est qu'on n'y aime point son prochain come soi même. J'étois accoutumée à penser qu'il n'est pas honête de faire du mal aux gens. Je me console cependant un peu aujourd'huy en disant à Moustapha, Gorge Dandin tu l'a bien voulu, et après cette réflexion je suis à mon aise à peu près come si devant. Les grands événemens ne m'ont jamais déplut, et les conquêtes ne m'ont jamais tentée. Je ne vois point aussi que le moment de la paix soit bien proche. Il est plaisant qu'on fasse acroire aux Turks que nous ne pourront point soutenir longtems la guerre. Si la passion n'inspiroit ses gens là, coment pourroit ils avoir oubliés que Pierre le grand soutint pendant trente ans la guerre tantôt avec ces mêmes Turks, puis avec les Suedois, les Polonais, les Persans, sans que L'Empire en fût réduit à l'extrêmité? Au contraire, la Russie est toujour sortie de chaqu'une de ses guerres plus florissante qu'elle n'i étoit entrée et ce sont ses guerres qui vraiment ont mis en branle l'industrie. Chaque guerre chez nous a été la mère de quelque nouvelle ressource qui donnoit plus de vivaçité au comerce et à la circulation.
Dificilement Monsieur les Venitiens feront quelque grande chose, ils finassent trop. Ils raisonent tandis qu'il faudroit agir. Je conviens Monsieur que de longtems ils ne retrouverons une occasion plus favorable pour s'acquérir ce qu'ils ont perdu.
Si les soi disant princes Chrestiens qui tienent pour les Turks ont de la jalousie des succès de cette guerre, ils ne doivent s'en prendre qu'à eux même. Pourquoi me l'ont ils suscité sans prévoir ce qui en arriveroit, chose cependant aisé à prévoir, pour peu qu'on convienent que l'ordre et la discipline est préférable au désordre et à la désobéissance? Si leurs espérances ce fondoit sur le prétendu dérangement de mes finances, ils s'abusoit encore pitoyablement. Je l'ai dis si dessus, Pierre le Grand avoit moins de revenu et moins de troupes que moi. Ce que j'ai fait négocier en Hollande est une bagatelle qui ne sert qu'à soulager le change.
Votre projet de Paix Monsieur me paroit un peu ressembler au partage du Lion de la fable, Vous gardés tout pour Votre favorite. Il ne faut point exclure de cette paix là les légions de Sparte, nous parlerons après des Jeux Istmique. Au moment que j'allois finir cette lettre, je reçois la nouvelle de la prise d'Ismail; voici quelques circonstances assés singulière.
Le Visir avant que de passer dans une Barque le Danube harangua ses troupes. Il leur dit qu'ils voyoit eux même que le Ciel étoit si en colère contre les Musulmans et si favorable aux Russes, qu'il étoit impossible de résister plus longtems. Que lui Visir ce voyoit dans la nécessité de passer de l'autre côté du fleuve, qu'il leurs enverroit autant de Bâtiments qu'il pourroit trouver pour les sauver, mais qu'en cas qu'il ne pût effectuer sa promesse, si les Troupes Russes venoit les attaquer, il leur conseilloit de ne faire aucune résistance, mais de mettre bas les Armes et qu'il les assuroit que l'Impératrice de Russie les feroit traiter avec humanité, que tout ce qu'on leur avoit fait à croire jusqu'ici des Russes avoit été imaginé par les enemis des deux Empires. A la suite de ceçi dès que mes troupes ce présentèrent devant Ismail, les Turks en sortirent et ceux qui y restèrent mirent bas les armes. La Capitulation de la Ville fut faite dans une demi heure. On y pris quarante huit canons et des Magasins considérables de toute espèce. On compte depuis le 21 jusqu'au 27 Juillet, cet à dire depuis la Bataille du Kagul, près de huit mille prisoniers et depuis l'année passée nous avons pris à l'enemi près de cinq cens Canons. Le Cte: Roumentzof a envoyé un corps à droite vers votre Brahilow qui sera pris selon Votre intention, et un autre à gauche qui doit s'emparer de Kilia. Eh bien Monsieur êtes Vous content? Je vous prie de l'être autant de mon Amitié que je le suis de la Vôtre.
Caterine