à St Petersb : ce 9 [20 n. s.] Novembre 1769
Monsieur, Je suis bien fâchée de voir par Votre obligeante lettre du 17 d'Octobre que mille fausses nouvelles sur notre compte Vous affligeait.
Cependant il est très vrai que nous avons fait la plus heureuse Campagne dont il y aye euë d'exemple; la levée du blocus de Chotzin par le manque de fourage, étoit le seul désavantage qu'on nous pouvait doner, mais quelle suite a t'elle euë? La défaite entière de la multitude que Moustapha avait envoyé contre nous. Toutte la ressource de nos envieux et de nos enemis était donc de répandre des fausses nouvelles et des doutes sur nos succès, s'est en quoi la Gazette de France et celle de Cologne excellent, ils continuerons leurs train je pense, et je m'en mocqueré pourvu que les événemens me soyent favorables. Je ne sens de la peine que de celle que Vous avés eu de ses mauvais bruits. Je Vous ai fait part de tous ce qui méritait quelque attention sachant la part que Vous voulés bien y prendre. Je ne sai si mes lettres Vous sont parvenuës.
Je crois un Colonel qui a servi contre les Corses plus propre qu'un autre à aller trouver les Turks. Mais s'il tombe prisonier entre nos mains, come il sera sans aveux apparament, et que ce n'est pas là justement le chemin qui conduit à l'honneur, il pourra bien aller trouver quelque part ses pareils, toujours il sera indigne de retourner dans Votre château, ayant résisté à la voix de la raison, et n'ayant écouté que celle de la passion, du fanatisme, ou de la folie, ce qui revient au même.
Ce n'est point le grand maitre de l'Artillerie Cte: Orlof qui a la présidence de l'Académie, s'est son frère cadet, qui fait son unique occupation de l'étude. Ils sont cinq frères; il seroit difficile de nomer celui qui a le plus de mérite, et de trouver une famille plus unie par l'amitié. Le grand Maitre est le second. Deux de ses frères sont présentement en Italie. Lorsque j'ai montré au Grand maitre l'endroit de Votre lettre où Vous me dite Monsieur que Vous le soupçonés de ne pas trop aimer les vers français, il m'a répondu, qu'il ne possédait pas assés la langue française pour les entendre, et je crois que cela est vrai, car il aime beaucoup la poésie de sa langue maternelle, et a déterré il n'y a pas longtems un jeune home qui traduit en vers l'Eneide avec un succès surprenant et presque littéralement. Le Cte: Orlof aime les belles chose, coment ce pourroit il qu'il ne fût sensible à Vos Vers? J'espère Monsieur que Vous me donerés bientôt des nouvelles de ma flotte, je croi qu'elle a passé Gibraltar, il faudra voir ce qu'elle fera, s'est un spectacle nouveau que cette flotte dans la Mediterranée, La sage Europe n'en jugera que par l'événement, il faut du bonheur et alors les amis et les loueurs ce trouveront, jusqu'içi Dieu merçi nous n'avons pas manqués de bonheur. Je Vous avouë Monsieur, que ce m'est toujour une satisfaction bien agréable lorsque je vois la part que Vous prenés à ce qui m'arrive. Soyés persuadé que je sens parfaitement le poix de Votre amitié, je Vous prie de me la continuer, et d'être assuré de la miene.
Caterine