1770-04-11, de Catherine II, czarina of Russia à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, J'ai reçuë il y a trois jours Votre lettre du 10 de Mars.
Je souhaite que celle ci trouve Votre santée tout à fait rétablie et que Vous parveniés à un âge plus avançé que celui de Metusalem. Je ne sai pas au juste si les années de cet honête home avoit douze mois, mais je veut que les Vôtres en aye treize, come l'année de la liste civile d'Angleterre.

Vous verrés Monsieur par la feuille çï jointe ce que s'étoient que notre Campagne d'Eté et celle d'Hiver, sur le compte des quelles je ne doute point qu'on ne débite mille faussetés, s'est la ressource d'une cause foible et injuste que de faire flèche de tout bois. Les Gazetes de Paris et de Cologne ayant mise tant de combat perdu sur notre compte et l'événement leur ayant doné le démenti, ils ce sont avisés de faire mourir mon Armé par la peste. Ne trouvé Vous pas cela plaisant? Au printems apparament les pestiféré resussiterons pour combatre. Le vrai est qu'aucun des nôtres n'a eu la peste.

Vous trouvés Monsieur les tableaux que j'ai achetée à Geneve chers; j'ai été tentée plus d'une fois, avant la conclusion du marché de Vous en demander Votre avis, mais trop de délicatesse peutêtre m'en a retenu. On m'assuroit de Paris que Mr Tronchin étoit honete home, et puis il faut convenir que le prix des Tableaux est assés un prix de Caprice. J'en ai un qui me fais toujours bien du plaisir quand je le vois; s'est celui que Vous m'avés envoyés il y a un an. Ce Mr Hubert m'en a fait promettre par tierçe main plusieurs, mais apparament qu'il n'en fait qu'un par an, Jusqu'içi je ne suis en possession que de deux. Cependant les sujets qu'il choisit sont si interessant, que je désire beaucoup que ma collection soit complète. Je ne puis qu'être très sensible à Votre amitié Monsieur. Vous voudriés armer toutte la Chrétieneté pour m'assister. Je fais grand cas de l'amitié du Roy de Prusse, mais j'espère que je n'aurés pas besoin des cinquante mille homes que Vous voulés qu'il me done contre Moustafa. Puisque Vous trouvés trop fort le compte des trois cent mille homes à la tête desquels l'on prétend que le sultan en persone marchera, il faut que je Vous parle de l'armement Turk de l'année passée, qui Vous fera juger de ce phantôme selon sa vraye valeur. Au mois d'Octobre Moustafa trouva à propos de déclarer la guerre à la Russie, il n'y étoit pas plus préparé que nous, lorsqu'il appris que nous nous défendrions avec vigueur, cela l'étona, car on lui avoit fait espérer beaucoup de choses qui n'arivèrent pas; alors il ordona que des différentes Provinces de son Empire, ce rendroit à Andrianople un million cent mille homes, pour prendre Kiovie, passer l'hiver à Moscow et écraser la Russie. La Moldavie seule eut ordre de fournir un million de Boisseaux de grains pour l'armée inombrable des Musulmans. Le Hospodar répondit que la Moldavie dans une année fertile n'en recueilloit pas tant, et que cela lui étoit impossible, mais il reçut un second comandement d'exécuter les ordres donées, et on lui promit de l'argent. Le train d'Artillerie pour cette armée étoit à proportion de cette multitude, il devoit consister en six cent pièçes de Canons, qu'on assigna des Arsenaux. Mais lorsqu'il s'agit de les mettres en mouvement, on planta là, le plus grand nombre, et il n'y eut qu'une soixantaine de pièçes qui marchèrent. Enfin au mois de Mars, au delà de six cent mille homes ce trouvèrent à Andrianople. Mais come ils manquoit de tout, la désertion comença à s'y mettre; cependant le visir passa le Danube avec quatre cent mille homes; il y en avoit cent quatre vingt mille le vingt huit d'Août sous Chotzin. Vous savés le reste, mais Vous ignorés peutêtre que le Visir repassa lui septième le pont du Danube, et qu'il n'avoit pas cinq mille homes lorsqu'il ce retira à Babada, s'étoit tout ce qui lui restoit de cette prodigieuse Armée, ce qui n'avoit pas péri s'étoit enfui dans la résolution de retourner chès eux. Notés s'il Vous plait qu'en allant et en venant ils pilloit leurs propre provinces, et qu'ils brûlèrent les endroits où ils trouvèrent de la résistance. Ce que je Vous dis est si vrai, que même j'ai plutôt diminué qu'augmentée les choses de peur qu'elles ne parussent fabuleuses.

Tout ce que je sais de ma flotte s'est qu'une partie est sortie de Mahon, et qu'une autre va quitter l'Angleterre où elle a hivernée. Je croi que Vous en aurés plutôt des nouvelles que moi, cependant je ne manquerés pas de Vous faire part en son tems de celles que je reçevrai avec d'autant plus d'empressement que Vous le souhaités.

L'ouvrage du Code est un peu retardé par tout ses faits de guerre, il est devenu cause seconde, il faut espérer que le tems viendra qu'il reprendra la première plaçe parmi mes occupations. Vous me priés Monsieur d'achever au plutôt la guerre et les Loix, afin que Vous en puissiés porter la nouvelle à Pierre le Grand dans l'autre monde. Permettés que je Vous dise que ce n'est pas le moyen de me faire finir de sitôt; à mon tour je Vous prie bien sérieusement de remettre cette partie le plus longtems que faire ce pourra, ne chagriné point Vos amis de ce monde pour l'amour de ceux qui sont dans l'autre. Si là bas ou là haut chaqu'un aura le choix de passer son tems avec telle Compagnie qu'il lui plaira, j'y arriverai avec un plan de Vie tout prêt, composé pour ma satisfaction, J'espère bien d'avance que Vous voudrés dès aprésent m'accorder quelque quart d'heure de conversation dans la journée, Henry IV sera de la partie, Sully aussi, et point de Moustapha.

Je suis bien aise Monsieur que Vous soyés content de nos Russes qui vienent chés Vous, ceux qui retournent chés eux des pays étrangers sans avoir été à Ferney, en sont toujour aux regrets. Notre Nation en général a les plus heureuse disposition du monde, il n'y a rien de plus aisé, que de leur faire goûter le bon, le raisonable, Je ne sais d'où vient qu'on s'est trompé souvent dans les moyens, volontiers je mettrai le tort du côté du Gouvernement qui si est pris gauchement. Quand on conaitra plus cette Nation en Europe on reviendra de beaucoup d'erreur et de préventions qu'on a sur le compte de la Russie.

Je vois toujour avec bien du plaisir le souvenir que Vous avés de ma Mère qui est morte bien jeune à mon grand regret.

Si Messieurs les Vénitiens le vouloit, il n'y auroit rien de plus aisé que d'envoyer Moustapha selon Vos désirs passer le Carnaval de l'année 1771 avec Candide dans leurs humide Ville.

Je suis charmée de savoir le Cte: Schouvalow rentré dans Vos bones grâces; il seroit étonant qu'il ne Vous eu pas répondu, car assurément il est un des homes le plus exact et des plus appliqué que je conoisse; je ne croi pas mr tromper en prédisant que la patrie a de grands services à en attendre, sa capaçité est fort au dessus de son âge, il n'a pas trente ans. Soyés assuré Monsieur de tous les sentimens que Vous me conoissés et de l'estime distingué que je ne cesserai d'avoir pour Vous.

Caterine