1770-11-15, de Catherine II, czarina of Russia à Voltaire [François Marie Arouet].

Je n’ai pour aujourd’huy presqu’ aucune nouvelle à Vous mander.
Je répondrai simplement à Votre lettre du 2 8bre pour Vous dire que Le lieutenant général Berg, qui tient avec son corps la distance depuis Taganrok jusqu’au Boristene, a pensé prendre prisonier le kan de Crimée qui d’Ozakow voulait passer à Perecop, d’où on avoit envoyé du monde à sa rencontre. Le reste des equipages ont été pris et son monde tué, dispersé ou fait prisonier. Lui même s’est jetté dans Otzakow. On peut le compter sans ce tromper pour un Prince dévalisés de la bonne façon, car une partie de ses sujets, les trois hordes de Belgorod et du Boujak, qui habitent entre le Dnester et le Danube et celle d’Edissan qui se tient entre le Dnester, le Boristhène, Ozakow et Bender ce sont déclarées pour la Russie. La Crimée lui reste mais les esprits y sont divisés. Une grande partie panche pour nous; l’autre pour la paix et personne n’a envie de ce battre parce qu’ils voyent que leur plus grand appuy les Turks sont mis hors d’etat de les secourir. Moustapha pense dit-on tout de bon de se retirer à Andrianople, il veut comander en persone l’année qui vient. Se prince ce laisse bercer encore à l’heure qu’il est de la douce pensée que nous serons incapable de soutenir la guerre encore deux Campagnes. Le pauvre home ignore qu’au commencement de ce siècle où la Russie étoit moins riche et où pour ainsi dire elle conaissoit moins ses ressources, elle a cependant été en guerre pendant trente ans consécutif. Il fera come il Lui plaira; la guerre et la paix sont à son choix.

J’aime la paix mais les grands évènemens de la guerre ne me déplaisent point. Vous conviendrés que cette Campagne est une des plus jolie qu’on puisse faire; elle me console du chagrin de voir qu’on a à Paris des carosses, des surtouts de dessert, des Chœurs de nouvelle mode, charmant et bruyant, et que Vos danseuses Allemande Danse mieux que mes Italienes. Je sais aussi qu’on y meure de faim. En Russie tout va le train ordinaire. Il y a des province où l’on ignore presque que depuis deux ans on est en guerre. On ne manque de rien nulle part, l’on chante le Te Deum, l’on Danse et l’on se réjouït. Je suis bien sensible monsieur à Vos politesses et à celle de mr d’Alembert. Mes Armées sont entrées en quartiers d’hivers. Elles ne sauroit aller aussi vite que Vous le souhaités parceque dans les vingt quatre heures Il faut reposer une fois et manger deux. L’année qui vient nous verrons ce qu’il y aura à faire. En attendant je suis occupée bien agréablement par la présence du Pr: Henri de Prusse dont assurément le mérite répond à sa grande réputation. Il me paroit qu’il ne se déplait pas tout à fait ici. Nous parlons souvent de Vous. Adieu, Monsieur, Vivés les années de Métusalem et soyés assurés de mon amitié.