Ferney, le 25 janvier 1765
…Nous avons dans ce moment-ci une petite esquisse à Genève de ce qu'on nomme liberté, qui me fait aimer passionément mes chaînes.
La république est dans une combustion violente. Le peuple, qui se croit le souverain, veut culbuter le pauvre petit gouvernement, qui assurément mérite à peine ce nom. Cela fait de Ferney un spectacle assez agréable. Ce qui le rend plus piquant, c'est de comparer la différente façon de penser des hommes et les motifs qui les font agir: souvent ces motifs ne font pas honneur à l'humanité. Le peuple veut une démocratie décidée; le parti qui s'y oppose n'est pas uni, parce que l'envie est le vice dominant de cette petite ruche où l'on distille du fiel au lieu de miel. Cette querelle n'est pas prête à finir, la démocratie ne pouvant subsister quand les fortunes sont trop inégales. Ainsi je prédis que la ruche bourdonnera jusqu'à ce qu'on vienne manger le miel. C'est Rousseau qui a fait tout ce tapage. Il trouve plaisant, du haut de sa montagne, de bouleverser une ville, comme la trompette du seigneur qui renversa les murs de Jéricho.
Ma réponse auroit suivie votre Lettre de plus près, si je n'avoit pas attendu que je pusse vous envoyer tous les écrits qui à animé cette petite République. Qui veut aussi être quelque chose; je souhaite que vous soyez meilleur Prophète que moi. Je suis avec toute la reconnoissance, & le respect.
Monseigneur, &c.