1756-07-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à [unknown].

Vous avez bien raison, monsieur, des jeunes polissons qui par malheur savent lire et écrire, s'introduisent dans la république des lettres, comme les bourdons se glissent dans les ruches des abeilles.

Celui dont vous me parlez en revenant de Copenhague, où il s'était donné pour professeur de belles lettres, s'arrêta, en 1752, à Berlin. Je tâchai de lui rendre quelques légers services: il m'en paya en entrant dans les tracasseries que le philosophe de St Malo me suscita dans cette ville.

Ayant quitté Berlin, il parcourut l'Allemagne, cherchant des libraires qui pussent acheter ces scandales; il en trouva un à Francfort sur le Mein où il fit réimprimer mon Siècle de Louis XIV, avec des notes satiriques et calomnieuses pleines d'erreurs et de sottises.

Il vient de reproduire ce tissue de fautes et d'impostures dans son roman des Mémoires de Maintenon. Je ne suis pas surpris que ce livre soit connu, comme vous me le dites. Il flatte la malignité humaine par des contes scandaleux sur les premières personnes de l'état, et sur divers personnages qui ne se seraient jamais attendus de se trouver là. Ce qu'il y a de plus malheureux, c'est que dans certains chapitres, il imite assez bien le style de Tacite et reproduit quelques unes de ses maximes. Ce maraud y montre bien de l'esprit; mais il aurait dû en faire un meilleur usage. Comme la vérité est le meilleur fondement du succès des livres historiques, il est probable pourtant que le sien n'aura qu'une vogue éphémère.

Mes sentiments pour vous seront plus durables, et vous pouvez compter pour toujours sur l'attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, etc., etc.