1748-10-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas René Berryer de Ravenoville.

Monsieur,

J'ay autant de confiance en vous que de reconnaissance pour vos bontez.
Le Roy a été touché de mes représentations, et il n'a pas voulu qu'on déshonorast à Fontainebleau un ouvrage fait pour luy par un de ses officiers, et honoré de ses bienfaits. Je me flatte qu'avec votre protection cette deffense s'étendra jusqu'à Paris. Il seroit bien étrange qu'on voulût produire à la ville un scandale deffendu à la cour. Mais monsieur si contre toutte apparence il arrivoit que mes ennemis prévalussent, si un malheureux conflit de jurisdiction dont on m'a parlé servoit à donner guain de cause aux comédiens italiens, je vous supplierois de vouloir bien m'en faire donner avis. Il me semble que quiconque est le maître de proscrire ou de permettre ces scandales poura se laisser toucher par mes prières et par mes raisons sans que je sois obligé d'importuner encor le Roy, et de le faire expliquer. Je me repose de tout monsieur sur votre protection et sur votre prudence. Je vous ay ouvert mon cœur sur les suittes que cette affaire peut avoir pour moy, et je vous renouvelle les plus vives instances.

J'ajouteray que M. Crebillon auroit pu prévenir tous ces embarras en ne donnant pas son approbation à la parodie. Il sait bien qu'il y a dans cet ouvrage des personalitez odieuses, assez déguisées à la vérité pour que l'examinateur puisse les passer sans se comettre, mais assez intelligibles pour que la malignité qui a l'oreille fine, en fasse son profit. Il pouvoit, étant mon confrère, et ayant malheureusement fait une tragédie de Semiramis qui n'a pas réussi, se dispenser d'aprouver une satire contre la mienne, mais les mêmes raisons qui devoient le retenir, l'ont fait agir.

Personne au monde n'est plus capable que vous monsieur d'appaiser tout cela, soit en conseillant aux italiens de ne pas hazarder cet ouvrage, soit en différant l'examen nouvau que vous en pouriez faire, soit en cherchant à vous instruire des intentions du roy, soit enfin en représentant à M. de Maurepas, ce que les conjonctures vous permettront de luy dire. Je vous demande pardon de vous importuner pour une chose qui est en elle même bien frivole, mais qui par la situation où je suis m'est devenue très essentielle. J'attends tout de vous et je seray toutte ma vie monsieur avec la reconnaissance la plus respectueuse et la plus inaltérable,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire