1752-10-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

On ne peut vivre madame sans faire des pertes.
Vous devez y être acoutumée, mais la sensibilité d'un cœur comme le vôtre n'en peut être affaiblie. Permettez vous que je prenne icy la liberté de témoigner à melle Donop la part que je prends à son affliction? Je me flatte au moins que la mort de mr son père ne dérangera pas vos affaires. La sauve garde d'un roy toujours victorieux vous met à l'abry de tout.

Je ne savais pas que les lettres de madame de Maintenon fussent déjà publiques. Je doute fort qu'elles soient importantes, et qu'elles puissent servir à l'histoire. Ce sont pour la plus part des lettres concernant st Cir. Il y en a de dévotion, il y en a quelques unes de compliment, et d'affaires particulières. Du moins celles dont les originaux sont dans la maison de st Cir se réduisent à ces objets. On en laisse prendre copie à qui veut, et elles ne sont pas regardées comme intéressantes.

Il y en avait d'autres entre les mains de mr de Cailus, petit neveu de made de Maintenon. Elles luy furent volées. Si c'est ce manuscrit qu'on a imprimé il doit être curieux, et je vous suplie madame de vouloir bien me le prêter pour quelques jours.

C'est la Baumelle qui a fait à ce qu'on dit cette édition à Francfort sur le Mein. Il en fait une aussi clandestinement du siècle de Louis 14 avec des critiques. Je ne sçais pas comment mon libraire qui a un privilège de L'empereur prendra la chose. La Baumelle poura bien avoir d'aussi mauvaises avantures à Francfort qu'à Copenhague, à Berlin, à Leipsik et à Gotha.

Je seray très aise que la personne et le livre de mr Dankarville réussissent. Je ne connais que son ouvrage qui m'a paru celuy d'un homme qui pense bien et baucoup. Je m'intéresse à ses succez et j'en suis assuré, puisque vous le protégez.

Je ne suis point retombé malade, mais je l'ay toujours été. Je traine une vie affreuse. Je me flatte qu'au mois de décembre mes maux seront adoucis par le bonheur de vous faire ma cour, et de vous renouveller le respectueux et tendre attachement que je vous ay voué pour ma vie.

V.