1752-12-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacques Emmanuel Roques de Maumont de La Rochefoucauld.

On ne peut être plus sensible que je le suis Monsieur à tous vos soins obligeants.
Je conviens que vous êtes dans une position délicate, et que vous vous acquittez de vos fonctions de médiateur, on ne peut pas mieux. Vous savez tout ce que j'ai fait pour entrer dans vos vues pacifiques. Il est bien étrange que mons. de la Beaumelle ait voulu pour trois ducats s'attirer une affaire si désagréable, & si peu digne d'un honnête homme. J'ai déjà eu l'honneur de vous dire que les libraires sont en possession de contrefaire les ouvrages des gens de lettres, & de leur ravir le fruit de leur[s] travaux; mais qu'un homme de lettres contrefasse un livre dont un libraire a le privilège, & ait encore l'imprudence absurde de contrefaire une mauvaise édition furtive dans le temps que mon libraire en donne une bonne; que sur cette mauvaise édition furtive il se hâte de faire des remarques pour trois ducats sans savoir si les objets de ces remarques se trouveront dans la seule édition que j'approuve, et dont j'ai fait présent à mon libraire Conrad Walther, c'est un procédé monsieur dont je vous laisse le juge. Je vous prie, monsieur, de vouloir bien me faire tenir, par le chariot de poste de Francfort à Berlin, le livre de La Beaumelle, intitulé Mes pensées, que le magistrat de Francfort a fait à la vérité saisir, mais dont il reste, dites vous, quelques exemplaires. Il n'y a qu'à marquer le prix du livre sur le paquet en toile cirée, je le payerai avec le port, selon l'usage, et le maître du chariot de poste vous en tiendra compte. Si vous avez quelques ordres à me donner pour Berlin, je les exécuterai avec le même zèle et la même fidélité que je suis, monsieur, etc.

P. S. J'oubliais de vous dire que les Lettres de madame de Maintenon ont été volées à m. de Margency, écuyer de m. le maréchal de Noailles, neveu de madame de Maintenon: cela fait beaucoup de bruit à Paris.