8 janvier 1753
Pour répondre monsieur à vos bontés conciliantes dont je suis très reconnaissant, & à la lettre de mons. de la Beaumelle dont je suis très surpris, j'aurai d'abord l'honneur de vous dire,
1. Qu'il est peu intéressant qu'il ait reçu trois ducats comme vous l'avez marqué, ou davantage pour l'ouvrage qu'il a écrit contre moi à Francfort.
2. Que quand il m'écrivit de Copenhague, sans que j'eusse l'honneur de le connaître, il data sa lettre du château, & me fit entendre que le gouvernement l'avait chargé de l'édition des auteurs classiques français, & que monsieur de Bernstorf, secrétaire d'état, m'a écrit le contraire.
3. Que quelques jours après étant renvoyé de Copenhague, il m'envoya de Berlin à Potsdam à ma réquisition son livre intitulé le qu'en dira-t-on, dans lequel il dit que le roi de Prusse a des gens de lettres auprès de lui, par le même principe que les princes d'Allemagne ont des bouffons & des nains.
4. Qu'il me promit de supprimer ce compliment & qu'il ne l'a pas fait.
5. Qu'il me reproche dans ce livre d'avoir sept mille écus de pension, & qu'il doit savoir à présent que j'y ai renoncé, aussi bien qu'à des honneurs que je crois inutiles à un homme de lettres, & que dans l'état où je suis, il y a peu de générosité à persécuter un homme dont il n'a jamais eu le moindre sujet de se plaindre.
6. Qu'il est vrai que je lui donnai des conseils sur quelques méprises où il était tombé & sur son étonnante hardiesse; qu'à la vérité il a suivi mes avis sur des faits historiques, mais qu'il les a bien négligés dans quelques exemplaires imprimés à Francfort, où il dit qu'il a vu à la cour de Dresde, un roi.., & tout le reste qui a fait frémir d'horreur. Il ose parler contre le gouvernement & l'armée du roi de Prusse. Il s'élève contre presque toutes les puissances. L'Arétin gagnait autrefois des chaînes d'or à ce métier: mais aujour-d'hui elles sont d'un autre métal. Je souhaite seulement qu'on pardonne à sa jeunesse, ou qu'il ait une armée de cent mille hommes.
7. Il est bien le maître d'écrire contre moi ainsi que contre tous les princes. Il n'y gagnera pas d'avantage.
8. Il vous mande qu'il me poursuivra jusqu'aux enfers; il peut me poursuivre tant qu'il lui plaira jusqu'à ma mort, il n'attendra pas longtemps: il poursuivra un homme qui ne l'a jamais offensé. Mylord Tirconnel est mort, mais ceux qui étaient auprès de lui sont témoins, que je rendis service à monsieur de la Beaumelle, & que seul j'empêchai mylord Tirconnel d'envoyer directement au roi de Prusse une lettre dont la minute doit exister encore, & dans laquelle il demandait vengeance; je ne m'oppose point à la reconnaissance dont il me menace.
9. Il peut se dispenser d'imprimer le procès du Juif Hirch qui me contestait la restitution de douze mille écus qu'il avait à moi en dépôt. Ce procès est déjà imprimé. Le Juif a été condamné à double amende. Monsieur de la Beaumelle peut cependant faire une seconde édition avec des remarques, & me poursuivre jusqu'aux enfers, sans expliquer s'il entend que j'irai en enfer, ou s'il compte y aller.
Voilà toute la réponse qu'il aura jamais de moi dans ce monde-ci & dans l'autre. J'ai l'honneur d'être véritablement,
monsieur,
votre &c.
Voltaire