1752-08-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

Il me semble madame que le premier mary de Madame la comtesse de Toulouze mourut à Versailles de la rougeole pourprée, et que ce fut son frère qui fut tué à Malplaquet.
Je peux me tromper. Je n'ay icy que ma mémoire pour secours. Il y a bien loin d'icy à Paris. Si votre amy qui a bien voulu me faire parvenir sa remarque veut s'assurer du fait ce sera une nouvelle obligation que je vous aurai. M. le maréchal de Noailles, frère de madame la comtesse de Toulouze, ne m'a point averti de cette méprise: mais il n'avait point encor fait ses remarques sur les anecdotes. Il y a grande apparence que cette erreur ne luy échapera pas, et qu'il aura la bonté de m'en avertir. Tout ce que je crains c'est que son paquet ne vienne trop tard. On imprime la nouvelle édition avec assez de rapidité. Si votre amy est absolument sûr de ce qu'il avance, je vous supplie de me le mander.

Il est certain madame que le petit livre dont j'ay eu l'honneur de vous parler existe, et peutêtre Bordeaux et la Neaume l'auront ils. La personne à qui vous aviez eu la bonté de faire adresser à la Haye le petit manuscrit philosofique ne l'avait point encor au premier aoust. Voudriez vous bien me faire savoir si vous êtes sûre que le paquet soit party?

On vend, à ce qu'on m'a mandé, à Berlin la détestable édition qu'on a faitte frauduleusement de Rome sauvée. C'est une des pirateries des libraires. On a volé une partie du manuscrit à la comédie française. On a rempli comme on a pu ce qui manquait, et on a eu l'impudence de donner sous mon nom cette rapsodie.

Il faut se consoler de cette friponerie, comme du livre de la Baumelle qui est encor réimprimé à Berlin; ce livre n'a guère d'autre mérite que son insolence. La manière dont l'auteur s'est conduit à Copenhague, à Berlin, à Leipsik et à Gotha, les mensonges qu'il vous a faits, l'argent qu'il a excroqué, sa fuitte de Gotha et le vol dont il est accusé, font d'ailleurs un étrange contraste avec la hardiesse qu'il a de dire son avis sur les rois et sur les ministres. Il faut se défier de pareilles espèces. Je suis affligé que vous ayez acordé votre protection à un tel homme, mais la bonté de votre cœur vous a séduitte; vous n'avez eu guères dans votre vie à vous repentir que de votre générosité. Je me flatte que ma mauvaise santé me permettra de venir vous faire ma cour à Berlin quand le roy sera en Silésie. J'ay plus d'impatience de vous rendre mes hommages que vous n'en avez de les recevoir. Vous êtes toujours à Berlin avec les reines, et vous êtes la mienne.