à Tournay 7 juillet [1760]
Vous m'avez comblé de joye, mon ancien ami, par vôtre Lettre du 28.
Souvenez vous je vous prie de l'interprétation de la nature et des deux derniers tomes de Moses Légation. Je vous renvoye le pauvre Diable du Cousin Vadé. Quel est l'animal qui l'a imprimé? Il y manquait un vers. J'ai pris la liberté de le suppléer. J'espère que Catherine le trouvera bon.
Quel est aussi le butor qui a imprimé les nottes du Russe, et qui dit qu'Henry 4 fut assassiné le 10e May? C'est le 14. J'ai encor pris la liberté de corriger cette faute. Mr D'Alambert a sans doute un Russe; je ne crois pas qu'il se fasse prussien si aisément; le Salomon du Nord doit être un peu embarassé après la perte de ses vingt mille hommes à Landshut, ayant sous son nez 80 mille autrichiens et 100 mille Russes à son cu, lesquels Russes sont de rudes postdamites. Je ne sçais si je me trompe, mais j'ai une grande idée de l'année 1760. On me mande qu'on vient d'envoyer prisonnier à Stade, le Landgrave de Hesse. Je n'en suis pas surpris; il y a trois ans qu'il était prisonnier; et en dernier lieu il l'était encor dans ses Etats.
On dit que le Duc de Broglie, Sage en projets et vif dans les combats, a pris Marbourg et son Château avec 1200 hommes. Le Salomon du nord m'écrit toujours. Il me mande que le 19 Juin, il a voulû donner bataille à Mr de Daune, qu'il n'a pû en venir à bout, mais que ce qui est differé n'est pas perdu; il aime toujours à écrire en prose et en vers dans quelque situation qu'il se trouve; mais je n'ai jamais pû obtenir de lui qu'il réparât par la moindre galanterie l'indigne traittement fait à ma nièce dans Francfort. Tant pis pour lui, n'en parlons plus.
Je vous ai mandé ce que je pensais d'un voyage en Russie; j'aime fort le Russe à Paris, mais je n'aime point que le premier Baron chrétien soit Russe. Songez que ces Russes ne sont chrétiens que depuis 600 ans, ou environ, et qu'il y avait déjà plusieurs siècles que les Montmorency étaient batizés. Je ne veux ni premier Baron chrétien à Archangel, ni premier philosophe en Brandebourg.
Maitre Aliboron dit Fréron, me parait furieusement bête; il conte qu'un jour la nouvelle se répandit qu'il était aux Galères, et il est assez aveugle pour ne pas voir que c'est une nouvelle toute simple.
Ramponeau n'est point si plaisant que le pauvre diable, mais Ramponeau peut tenir son coin dans le recueil, quand ce ne serait qu'en faveur de la Cabaretière Raab, ayeule de qui vous sçavez.
Dites à l'abbé Trublet qu'il faut qu'il se réconcilie avec les vers, comme Pompignan le prêtre avec l'Esprit.
Dites à Protagoras qu'il se trompe grossièrement pour la première fois de sa vie, s'il pense que Mr le Duc de Ch . . . . protège les Polissots et les Frelons au point de prendre leur parti contre des hommes qu'il estime; il les a protégé en grand seigneur tel qu'il est, il leur a donné du pain, mais il est si loin de prendre leur parti, qu'il trouvera fort bon qu'on les assomme de coups de canne; on aurait beaucoup mieux fait de prendre ce parti, que d'aller fourer mal à propos, la fille de Mr le Duc de Luxembourg, dans des querelles de Comédie.
Je sçavais déjà que Robin mouton devait retourner à sa bergerie. Je ne sçais si l'abbé de Morlaix ne restera pas encor quelques jours dans son château; c'est dommage qu'un aussi bon officier ait été fait prisonnier à l'entrée de la campagne.
Vous devriez bien, conjointement avec Protagoras, m'envoyer une Liste des ennemis et de leurs ridicules. Celà sera un peu long, mais il faut travailler pour le bien de la patrie. Je voudrais un peu de faits; je voudrais jusqu'aux noms de batême, si celà se pouvait; les noms de Saints font toujours un très bon éffet en vers; je ne sçais si l'abbé Trublet est de cet avis.
Nous avons icy un espèce de plaisant, qui serait très capable de faire une façon de Secchia rapita, et de peindre les ennemis de la raison, dans tout l'excez de leur impertinence. Peut être mon plaisant fera t'-il un poëme guai et amusant, sur un sujet qui ne le parait guères. La Dunciade de Pope me parait un sujet manqué.
Il est important encor, de sçavoir le nom du Libraire qui imprime le journal de Trévoux, le journal chrétien, ou tels autres rogatons. Si ce libraire a femme ou fille, ou petit garçon, car il faut de l'amour et de l'intérêt dans le poëme sans quoi point de salut; en un mot, mon plaisant veut rire, et faire rire, et mon plaisant a raison, car on commence à se lasser des injures sérieuses, mais gardez le secrêt à mon plaisant. Interim j am with all my heart
Yr V.