1770-01-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Jacques Élie de Beaumont.

Mon cher Cicéron, je vois que vous réussissez à tout ce que vous entreprenez.
Vous ne cessez de faire du bien, c'est vôtre vocation, on ne peut mieux la remplir.

Je ne suis point étonné que Mr De Gerbier ait concouru avec vous à une bonne œuvre. Le triste état de Mr Du Rey de Morsan a dû toucher un cœur aussi nôble que le sien. Je le remercierai lui et Mr Boudot à qui nous avons tant d'obligation, et qui s'est donné tant de mouvement dans cette affaire.

Le grand point est que Mr Du Rey soit entièrement corrigé; qu'il achêve de paier toutes ses petites dettes dans ce païs cy; qu'il n'en fasse jamais; qu'il remplisse tous ses devoirs; qu'il ait de quoi se meubler honnêtement, et qu'il continue à mener une vie décente et irréprochable, digne des personnes auxquelles il tient par la naissance et par l'alliance. S'il négligeait une seule de ces choses essentielles, il serait perdu sans ressource. Il est bien nécessaire qu'il expie par la conduite la plus mesurée les fautes dont il porte très justement la peine.

Je crois, Monsieur, que le meilleur parti est d'adresser la Lettre de change de six mille Livres pour mon compte à Mr Sherer, banquier à Lyon. J'en donnerai le reçu. Je paierai les dettes les plus pressantes; et j'arrangerai tout pour qu'il puisse aller passer ses jours doucement à Neufchatel de la manière la plus convenable. Mon reçu sera fait en son nom et il m'en fera un pour ma décharge. Je lui ai servi de père depuis un an, et je lui en servirai encor, mais c'est vous, Monsieur, qui faittes véritablement tout pour lui dans cette occasion; c'est vous qui êtes son protecteur. Agréez encor une fois mes très tendres remerciements.

Quant à Sirven je vous ai déjà mandé que je ne sais plus où en est son affaire, je n'ai nulle nouvelle de lui, et j'ai bien peur qu'il ne s'en tienne au premier jugement qui le délivre de prison et qui le fait rentrer dans son bien. C'est un bon et honnête homme, mais sa tête est un peu capricieuse, et ses deux filles sont un peu folles. Il faut prendre les gens comme ils sont.

Vraiment je serai enchanté de voir tous les mémoires que vous voulez bien m'envoier. Vous savez avec quel plaisir je les lirai. Je m'intéresse à vos clients plus qu'à Cluentius et à Roscius déffendus par vôtre ancien Camarade.

Il y a longtems que je connais l'affaire du sr Beck. Je crois vous avoir mandé que j'arrivai à Strasbourg quelques jours après son avanture. Je ne sais pas bien précisément quel était le degré de sa probité, mais je sais qu'il avait affaire à un grand fripon.

Je compte bien que vous ferez aussi triompher pleinement Mr De La Luzerne. L'innocence oprimée est très à son aise avec vous.

Made Denis et moi nous remercions bien sensiblement Madame de Canon de ses bontés. Nous vous sommes inviolablement attachés l'un et l'autre pour toute nôtre vie.