Versailles 17 9bre 1773
J’ai reçu votre lettre, mon aimable papa, et j’ai remis à Chamfort celle qut y était jointe.
J’ai été bien fâché de ne pouvoir vous aller embrasser en revenani ici; mais mes jours étaient comptés et je n’ai pas eu un moment à moi, puisqu’il ne m’en est pas resté un seul pour vous. Je serai bientôt plus heureux selon les apparences. Je ne serai pas longtemps sans retourner en Italie. J’y ai été trop peu de temps et eu trop de plaisir a y être pour ne pas désirer d’y retourner promptement. De plus j’y aurai bientôt des affaires essentielles et je vais m’arranger de façon qu’à l’avenir mes affaires soient la base de mes plaisirs.
En arrivant ici, il m’a fallu entrer tout de suite de service, que je ne quitterai qu’à la fin de ce mois. J’aurai ensuite 4 mois de liberté que je vais employer à perfectionner du mieux qu’il me sera possible notre chère Pandore. Made la comtesse veut absolument qu’on nous joue. Il y assez longtemps que votre héros s’en acquitte à merveille en nous remettant d’époques en époques; mais cette fois-ci on ne pourra plus nous jouer, mais nous faire jouer, et c’est ce que je demande à grands cris.
Le peu de temps que j’ai resté en Italie a suffi pour me donner en musique des connaissances bien nécessaires. J’ai travaillé comme un cheval sur la théorie. Il faut maintenant la mettre en pratique, et c’est ce que je veus faire.
Nous sommes maintenant dans les plus brillantes fêtes et jamais la cour n’a été de moitié aussi belle. Le cte d’Artois s’est marié hier et paraît fort content aujourd’hui. Je souhaite que sa femme soit aussi contente de lui. Il est bien temps que nous ayons les arrière-petits-fils de notre bon maître.
On nous a donné aujourd’hui un grand opéra où l’on n’a rien épargné pour les décorations. Cependant il n’a pas réussi, malgré la dépense, et on trouve les paroles et la musique aussi mauvaises l’un que l’autre. Si on avait donné Pandore avec la moitié de ce qu’il en a coûté pour l’opéra d’aujourd’hui, on aurait donné le plus magnifique spectacle; mais il aurait fallu être le complaisant, pour ne pas dire le maquereau de messeigneurs les premiers Gentilhommes, et c’est un rôle qui ne m’ira jamais.
Si en faisant tous les changements aux quels je vais m’occuper, il se trouvoit quelque chose à parodier ou a augmenter je vous le manderai aussitôt, mon cher Papa, et certainemt ce sera pour le mieux.
Je vous Embrasse bien tendrement. Je vous aime de tout mon cœur et c’est pour toute ma vie. Adieu le plus aimable des hommes et le mieux aimé des amis.