1738-04-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Monseigneur,

J'ay reçu de nouvaux bienfaits de votre altesse Royale, des fruits prétieux de votre loisir, et de votre singulier génie.
L'ode à sa majesté la reine votre mère me paraît votre plus bel ouvrage. Il faut bien quand votre cœur se joint à votre esprit, qu'il en naisse un chef d'œuvre.

Je n'y trouve à reprendre que quelques expressions qui ne sont pas tout à fait dans notre exactitude française. Nous ne disons jamais des encens au pluriel. Nous ne disons point comme on dit je croi en alleman encenser à quelqu'un — cette phrase n'est en usage que parmy quelques ministres réfugiez qui ont tous un peu corrompu la pureté de la langue française. Voylà àpeu près tout ce que ma pédantrie grammaticale peut critiquer dans cet ouvrage charmant, que je chéris, comme homme, comme poète, comme serviteur bien tendrement attaché à votre auguste personne.

Que je suis enchanté quand je vois un prince né pour régner dire

Ta clémence et ton équité,
Ces limites de ta puissance!

Voylà deux vers que j'admirerais dans le meilleur poète et qui me transportent dans un prince.

Vous faites comme Marc Aurele la satire des cours, par votre exemple et par vos écrits, et vous avez par dessus luy le mérite de dire en baux vers dans une langue étrangère ce qu'il disoit assez sèchement dans sa langue propre. Si la tendresse respectable qui a dicté cette ode ne m'avoit pas enlevé mon premier suffrage, je pourois la donner à l'ode. Enfin il y a plus d'imagination, et le mérite de la difficulté surmontée, qu'on doit compter dans tous les arts, est bien plus grand dans une ode que dans une épître libre. Le printemps est dans tout un autre goust, c'est un tablau de Claude Lorrain. Il y a un poète anglais homme de mérite nommé Tompson qui a fait les quatre saisons dans ce goust là en blank verse sans rimes. Il semble que le même dieu vous aient inspirez tout deux.

Votre altesse royale me permettra t'elle de faire sur ce poème une remarque qui n'est guères poétique?

Et dans le vaste cours de ses longs mouvements
La terre, gravitant et roulant sur ses flancs,
Aprochant du soleil en sa carrière immense.

Voylà des vers philosophiques, par conséquent leur devoir est d'être vrais, et d'avoir raison. Ce n'est pas icy Josue qui s'acomode à l'erreur vulgaire et qui parle en homme très vulgaire, c'est un prince copernicien qui parle, un prince dans les états de qui Copernic est né, car je le crois né à Thorn, et je pense que votre maison royale pourait bien avoir des droits sur Thorn. Mais venons au fait, ce fait est que la terre du printemps à l'été s'éloigne toujours du soleil de façon qu'au milieu du cancer elle est environ d'un million de grands miles germaniques plus loin de cet astre qu'au milieu de l'hiver, et que nous avons moyennant cette inégalité dans son cours huit jours d'été de plus que d'hiver. Je sçai bien qu'on a cru longtemps qu'en été nous étions plus près du soleil, mais c'est une grande erreur, et il ne doit pas paraître singulier qu'un trente troisième degré de proximité de plus ne nous échauffe pas, car je n'ay guères plus chaud à trente deux pieds de ma cheminée qu'à trente trois. Cequi fait la chaleur n'est donc pas la proximité mais la perpendicularité des rayons du soleil et leur plus grande quantité réfractée de l'air sur la terre. Or en été les rayons sont plus aprochants de la perpendicule, et plus réfracté sur notre horison septentrional, comme sait votre altesse. Je fais tout ce verbiage pour excuser mon unique critique. D'ailleurs je ne puis trop remercier v.a.R. de l'honneur qu'elle fait à notre parnasse français.

J'envoye la quatrième épître par ce paquet. Je corrige la troisième. J'aurais envoyé les 3 nouvaux derniers actes de Merope mais on les transcrit.

Ce que V. a. R. m'a daigné mandé du csar Pierre change bien mes idées. Est il possible que tant d'horreurs aient pu se joindre à des desseins qui auroient honoré Alexandre? Quoy, policer son peuple et le tuer? être bourau, abominable bourau, et législateur, quitter le trône pour le souiller ensuite de crimes, créer des hommes et déshonorer la nature humaine? Prince qui faites l'honeur du genre humain par le cœur et par L'esprit, daignez me développer cette énigme.

J'attendray les mémoires que vos bontez voudront bien me communiquer, et je n'en feray usage que par vos ordres. Je ne continuerai l'histoire de Louis 14 ou plutôt de son siècle, que quand vous le commanderez. Je ne veux