à vous seul [27 September 1757]
Mon héros, vous avez vu, et vous avez fait des choses extraordinaires.
En voicy une qui ne l'est pas moins; et qui ne vous surprendra pas. Je la confie à vos bontez pour moy, à vos intérêts, à votre prudence, à votre gloire.
Le roy de Prusse s'est remis à m'écrire avec quelque confiance. Il me mande qu'il est résolu de se tuer s'il est sans ressource, et Me la markgrave sa sœur m'écrit qu'elle finira sa vie si le roy son frère finit la sienne. Il y a grande apparence qu'au moment que j'ay l'honneur de vous écrire le corps d'armée de M. le prince de Soubize est aux mains avec les prussiens. Quelque chose qui arrive, il y a encor plus d'apparence que ce sera vous qui terminerez les avantures de la Saxe et du Brandebourg, comme vous avez terminé celles de Hanovre et de la Hesse. Vous courez la plus belle carrière où on puisse entrer en Europe, et j'imagine que vous jouirez de la gloire d'avoir fait la guerre et la paix.
Il ne m'appartient pas de me mèler de politique et j'y renonce comme au char des assiriens. Mais je dois vous dire que dans ma dernière lettre à me la markgrave de Bareith je n'ay pu m'empêcher de luy laisser entrevoir combien je souhaitte que vous joigniez la qualité d'arbitre à celle de général. Je me suis imaginé qu'en cas qu'on voulût tout remettre à la bonté et à la magnanimité du roy, il vaudrait mieux qu'on s'adressât à vous qu'à tout autre. En un mot j'ay hazardé cette idée sans la donner comme conjecture ny comme conseil, mais simplement comme un souhait qui ne peut compromettre ny ceux à qui on écrit ny ceux dont on parle, et je vous en rends compte sans autre motif que celui de vous marquer mon zèle pour votre personne et pour votre gloire. Vous n'ignorez pas que Madame de Bareith a voulu déjà entamer une négociation qui n'a eu aucun succez. Mais ce qui n'a pas réussi dans un temps peut réussir dans un autre, et chaque chose a son point de maturité. Je n'ajoute aucune réflexion, je crois seulement devoir vous dire qu'en cas qu'on puisse résoudre le roy de Prusse à remettre tout entre vos mains ce ne sera que par made la markgrave sa sœur qu'on poura y réussir.
J'espère que ma lettre ne sera pas prise par des houzards prussiens ou autrichiens. Je ne signe ny ne datte. Vous connaissez mon hermitage. J'ose vous supplier de m'écrire seulement quatre mots qui m'instruisent que vous avez reçu ma lettre.
J'ay eu l'honneur de mettre sous votre protection une lettre pour made la duchesse de Saxe Gotha. Plus d'une armée mange son pauvre pays, et tout galant que vous êtes vous y avez quelque part. Vous ne pouvez toujours contenter touttes les dames.
Voylà une belle méprise de ma part mais je relis toujours mes lettres avant de les cacheter. Je demande pardon à mgr le maréchal pour les tapis d'Aubusson.
Permettez encor que j'ajoute que vous avez parmy vos aides de camp un comte d'Ivonne mon voisin qu'on dit très aimable et très empressé à bien servir. Vous êtes très bien en médecins, et en aides de camp. Ils sont bien heureux. Que ne pui-je comme eux être àportée de voir mon héros?