[?June 1764]
Je relis vos lettres charmantes et mes foibles réponses depuis l'année 1721 qu'a commencé ce commerce charmant.
J'y vois mon attachement constant à mon cher Voltaire, quelques vers de sentiment, quelques images et puis des longueurs, et les fatras Poétiques d'un homme qui ne savoit pas écrire. Savés vous bien que moy qui ay gardé toutes ces choses, elle me portent en arrière fort agréablement et que j'en aurois de quoy faire un ou deux volumes? Indépendament j'ay presque autant de lettres et de pièces adressées à différents amis avec leurs responses. J'ay fait un triage du tout et me trouve assés riche.
Mais je vois qu'il en est des petits comme des grands Esprits, on commence par des Essais, on va plus haut dans la force de l'âge et puis le feu se rallentit et on finit par faire très médiocrement. C'est le sort de l'humanité; ne voyés vous pas dans une pépinière, les arbres ont peu à peu leur Progrés. Transplantés ils ont toute leur force, et couvrent de leur gloire et de leur ombrage tout un terrain, au bout de 50 ans ils décroissent, sèchent par le coupeau, languissent. Corneille a eu sa galerie du Palais, le Cid, Cinna, Polieucte et a fini par Agesilas et Pertharite.
Que vous estes encore grand, et que vous estes un prodigieux travailleur! En un an vous nous donnés Olimpie, l'histoire générale toute remaniée et fort augmentée et presque plus la mesme, et les contes charmants de Guillaume Vadé, sans compter, la tolérance, et vos autres prétendues bagatelles, qui feroient seules la réputation d'un homme, mais vous ne mettés pas seulement cela en ligne de compte. Pour moy je recueille vos moindres billets et je trouve d'autant dans un portefeuille. On aime à retrouver une teste, un bras de Raphael et de Michel Ange [ . . .]
Vostre belle âme, vostre Lisette est charmante, elle est toujours svelte et gaie, preuve infaillible de sa parfaite santé.
Pour la mienne, elle languit et presque s'ennuye dans un corps qui a été gouteux et qui n'a plus de passions.