au château de Ferney, 7 octobre 1761
L'académie me pardonnera sans doute l'embarras que je lui donne.
Vous voyez de quelle importance il est que nous ayons raison sur tout ce que nous disons du Cid & des Horaces, de Pompée, de Cinna & de Polieucte. On peut impunément se tromper sur la Galerie du Palais et sur Agésilas, mais je ne hasarderai rien sur les pièces que l'admiration publique a consacrées sans avoir demandé plusieurs fois des instructions.
Je ne veux point rendre l'académie responsable de mon commentaire. Je veux seulement profiter de ses lumières, qu'on sache que j'en ai profité et que sans ses bontés et ses soins ce commentaire serait bien moins utile.
Presque tout ce que j'ai envoyé n'est qu'un recueil de doutes. En voici encore de nouveaux sur Cinna. Je supplie l'académie de les lire et de les résoudre.
Vous devez avoir entre les mains Cinna & Polieucte. Vous me permettrez quand vous m'aurez renvoyé le canevas du commentaire sur Polieucte,marginé, de vous le renvoyer une seconde fois. Je compte embellir un peu cet ouvrage, qui est sec par lui même. Je fais venir beaucoup de tragédies espagnoles, anglaises & italiennes dont la comparaison avec celles de Corneille ne servira pas peu à faire voir la supériorité de la scène française sur celles des autres nations, supériorité dont nous avons l'obligation à ce grand homme et qui a contribué principalement à faire de notre langue la langue universelle.
Les Cramer ne comptent donner une annonce que quand ils seront sûrs des graveurs et du temps auquel ils auront fini. Je tâcherai de rendre service dans cette affaire au libraire de l'académie. Il n'y a ce me semble qu'une veuve qui paraisse, mais n'y a-t-il pas un enfant de dix à douze ans? La mère pourrait me l'envoyer, je le ferais travailler chez les Cramer; il apprendrait son art & ce voyage lui serait très utile. Si vous le protégez et si vous approuvez mon idée, il n'y a qu'à me l'envoyer. Je compte sur vous plus que sur personne, continuez moi votre bonne volonté et aidez moi de vos avis.