1774-03-11, de Louis Jean Baptiste Gaillard de Framicourt à Voltaire [François Marie Arouet].

Je viens Monsieur de recevoir une lettre de mon malheureux frère votre protégé qui m’instruit de tout ce que vous faites pour luy, pour nous, et enfin pour l’humanité car nous le devons à vos vertus.
N’ayant pas l’honneur d’être connut de vous monsieur nous n’avons eû d’autre accès auprès de vous que celui que les infortunés trouvent chez les âmes vertueuses.

Le congé d’un an que vous venez d’obtenir prouve bien votre crédit auprès du Roy de Prusse. J’ouvre mon cœur à l’espérance pour le reste de l’entreprise. Dans cette pensée je ne puis contenir des Elans de sensibilité de joye, de reconnaissance qui troublent mes idées. Ange tutélaire, chez moi la nature ébranlée me fait couler des larmes d’attendrissement. Je sais que vous n’avez besoin ni de ma reconnaissance ni de mes protestations. D’ailleurs vous les avez prévû, nos malheurs vous en répondaient, mais célèbre et mémorable protecteur ne rejettez pas mes transports, ne dédaignez pas de ma part un besoin si cher!

Permettez moi de vous répéter monsieur que s’il est besoin de mouvemens à Paris à la cour j’y ai des connaissances, même des amis, et plusieurs avec qui je passe dans l’intimité plusieurs mois de l’année. Vous plânerez monsieur mais si vous jugez plus sûr certains procédés par la présence de quelqu’un qui en manie l’exécution comptez sur moy je vous prie et sur le plus fidel mobile. Argent, soins, veilles, rien ne m’arrêtera. Il faut quelquefois payer des causes secondes pour donner l’âme aux premiers.

Mon frère me mande aussi monsieur que vous luy avez promis pour abréger son voyage de tirer de l’argent sur vous à Amsterdam. J’attends sa réponse pour vous le remettre à Ferney en me confondant devant vous en remerciemens.

Si vous aviez envie d’avoir la procédure, c’est à dire les interrogatoires que j’ai eû le crédit de prendre icy au greffe en son tems je vous les enverrai. Mon frère qui fuyait n’en a pû avoir connoissance. Je suis avec le plus tendre et le plus grand respect monsieur votre très humble et très obéissant serviteur

Framicourt