1778-01-25, de Jacques Marie Boutet de Monvel à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

J'étais loin de prétendre à la faveur dont vous venez de m'honorer et vos bontés relèvent trop un bien faible service.
On a daigné me confier votre nouvelle tragédie, ouvrage étonnant, où le goût d'un grand homme asservit à ses lois celles de la nature; comment ne pas bien lire de si beaux vers? A qui le rôle d'Irene ne donnerait il pas de l'onction et de l'âme? Rendre ce que je sentais, voilà tout mon mérite. Heureux, si je pouvais quelque jour, sous le nom de Seide ou sous celui d'Egiste faire verser des pleurs au rival de Corneille et de Racine! s'il m'était permis de lui prouver combien ses ouvrages me sont chers, à quel point je me suis pénétré de leur beauté! C'est un espoir que je conserve, puisse t-il se réaliser bientôt.

Vous me demandez mes ouvrages, monsieur; eh qu'est ce pour l'auteur de la Henriade, pour le père de Brutus, d'Alzire et de Vendôme que de petits opéras comiques, bagatelles dont le musicien fait tout le prix et qui ne doivent leur importance qu'à la folie du jour et au mauvais goût de notre siècle? Permettez moi de ne vous en envoyer qu'un seul de trois ou quatre que j'ai hasardés dans ma jeunesse. Le trait de bienfaisance qu'il renferme, trouvera grâce devant vous et du moins en blâmant l'exécution, vous me saurez gré du choix de mon sujet. J'y joindrai, puisque vous l'exigez, une comédie où le public a moins encouragé mes talents que mes efforts.

J'adore les beaux arts, voilà peut-être le seul avantage que la nature m'ait fait, mais je ne me plains pas de mon sort. Je lis vos sublimes ouvrages; je les relis sans cesse.