1777-12-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Dutertre.

Je commence, Monsieur, par vous souhaitter par avance une bonne année de 1778; je vous remercie en 1777, des secours que vous voulez bien me faire parvenir, et de tous vos bons offices. J'en ai besoin plus que jamais; car tandis que je suis à l'étroit pour mes rentes de Paris, j'ai fait des pertes immenses dans le païs que j'habite; et il ne me reste pour le moment présent aucune ressource. Les maisons considérables que j'ai bâties dans ma colonie ne m'ont valu jusqu'à présent que des procez.

Pouriez vous cependant donner mille francs à Mr L'abbé Mignot, et mille francs à Mr D'Hornoy, conseiller au parlement, à compte de la petite pension qu'ils me font le plaisir d'accepter de moi? Cette pension est pour chacun de dixhuit cent francs, et chacun d'eux toucherait les huit cent francs restants dans un temps plus favorable.

Pourais-je toucher à la fin de ce mois de Décembre un peu plus des deux mille quatre cent livres que j'ai tirés sur vous jusqu'à présent chaque mois, depuis que vous avez fait cet arrangement? Celà me serait bien nécessaire aiant une grosse maison à soutenir. Mais je ne voudrais pas vous déranger le moins du monde, et je vous prie de me refuser si ma demande est indiscrète.

Aureste, ne pouriez vous pas représenter à mes neveux Mr Mignot et Mr D'Hornoy le triste état où je suis actuellement? Ils attendraient, ainsi que moi, le rétablissement de mes affaires. Cela est désagréable, mais dans un temps de famine chacun retranche un peu de sa table.

Pour moi je ne retrancherai jamais rien dans mon cœur des sentiments de reconnaissance que je vous dois. Je voudrais pouvoir recevoir vôtre réponse avant la fin de l'année, afin de savoir surquoi compter.

J'ai l'honneur d'être, Monsieur, avec le plus véritable attachement Vôtre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire