1775-11-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à André Morellet.

Ils disent mon cher philosophe Sorbonique, que je suis tombé en apopléxie.
Celà pourait bien être. C'est pauvre chose que l'homme, et il est ridicule à un homme aussi maigre que moi d'avoir une pareille avanture. Quoi qu'il en soit je prends la liberté de vous envoier pour mon Testament, un mémoire que je recommande à vos bons offices. Il faut qu'avant de mourir je tâche de servir ma petite province. Elle fera, sans doute, tout ce que le ministère ordonnera, et le fera avec joie et reconnaissance, mais il me semble que ce mémoire démontre que l'indemnité de trente mille Livres pour la ferme générale, est un peu trop forte. Si ces trente mille Livres étaient pour le Roi, nous ne ferions pas de représentations, mais c'est cinq cent livres pour la poche de chacun de messieurs les soixante fermiers généraux. Ce n'est rien pour eux, et c'est un fardeau immense pour nous.

Aureste, ce n'est pas moi qui parle, c'est le païs. Je n'ouvre la bouche que pour remercier.

Un orage suivi d'un déluge a détruit deux de mes maisons, et ce qui est bien pis, a failli noier la fille de M: De Malzerbes, qui diagnait passer par Ferney pour s'aller promener en Suisse.

Pour la maison que mon âme habite, elle sera bientôt en canelle; mais tant que j'y logerai je vous serai tendrement attaché. Made Denis vous en dit autant, et certainement nous vous aimons tout deux de tout nôtre cœur.

V.