1775-10-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à André Morellet.

Nonseulement, mon très cher philosophe, vous me rendez de bons offices, mais vous obligez toute une province.
Je vous remercie en son nom et au mien. Nous vous devrons, à vous, et à Madame De St Julien, nôtre salut et nôtre liberté.

J'avais écrit positivement à Monsieur De Trudaine, que nos états acceptaient ses propositions et ses bienfaits avec la plus grande soumission et la plus vive reconnaissance. Ma Lettre portait expressément, que soit qu'on nous donnât le sel au prix de Genêve, soit que nous l'achetassions de nos voisins, le bienfait était égal. Nous sommes bien loin de faire aucune condition. Nous nous en sommes toujours remis entièrement à la volonté et à la justice du ministère.

Il est certain que la somme de quarante mille francs que les fermiers généraux éxigent est exhorbitante. La province est hors d'état de la paier, elle est pauvre, et qui pis est, accablée de dettes. S'il fallait acheter si chèrement nôtre liberté, je m'offrirais à paier la plus grande partie de cet impôt que les fermiers généraux veulent mettre sur nous, mais ma colonie me ruine; on ne peut à la fois bâtir une ville, et paier pour une province.

J'espère que Monsieur De Trudaine, qui connait mieux que moi l'état du païs de Gex, daignera prendre à son ordinaire, les arrangements les plus équitables. Il sait que la ferme générale ne retire pas à son profit plus de sept mille francs par an de nôtre province. Nous nous épuiserons pour en donner le double.

Tout celà, mon cher docteur, n'est ni sorbonique, ni philosophique, mais vous êtes encor plus citoien que Théologien; je m'en raporte à vous.

Je vous embrasse le plus tendrement du monde.

Le vieux malade de Ferney V.