31e auguste 1775, à Ferney
J'aprends, Monsieur, que plusieurs personnes à Gex sont éffarouchées des bienfaits dont le ministère veut nous combler.
C'est probablement faute de savoir encor jusqu'où ces bontés s'étendent. Vous pourez leur aprendre que Mr De Trudaine, dans la Lettre dont il m'honore, dit expressément que nous pourons convenir d'un prix avec Messrs les fermiers généraux pour le sel.
Le grand point, le bienfait très signalé et très inattendu, est que nous soions débarassés de cette foule d'emploiés qui véxe la province, qui remplit les prisons, et qui interdit tout commerce.
Dès que nous serons délivrés d'un fléau si funeste, nous profiterons dans l'instant de nôtre liberté pour faire proposer aux fermiers généraux de nous Livrer du sel au même prix qu'ils le vendent à Genêve. En attendant que nous soions d'accord avec eux, nous pourons en acheter à Copet, et l'avoir à un prix très modique, nous ne le paierons que treize livres le quintal. Il est très probable que la protection de Mr Turgot et de Mr de Trudaine engagera les fermiers généraux à traitter avec nous comme avec Genêve. Alors, il vous sera très aisé de prendre sur la vente de ce même sel une somme assez considérable pour paier les dettes de la province, pour donner une indemnité à la ferme, et pour subvenir à la confection des chemins.
La liberté qu'on daigne nous offrir, et l'abolissement des corvées, sont des bienfaits inestimables pour les villes et pour les campagnes. Nous n'avons que des grâces à rendre. Personne ne le sent plus que vous, et ne le fera mieux sentir. Je m'en raporte entièrement à vôtre sagesse, et à vôtre esprit patriotique.
J'ai l'honneur d'être avec l'attachement le plus sincère et le plus respectueux, Monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire