31e auguste 1775
Mon cher philosophe, je vous dirai d'abord que je suis pénétré de reconnaissance et de joie.
Monsieur De Trudaine daigne accorder à notre petite province plus de grâces que je n'avais osé en demander. J'ai vu par la Lettre dont il m'a honoré, qu'il connait mieux les malheurs et les besoins du païs de Gex que moi mème. Nos états l'ont remercié et ont souscrit leur soumission à ses ordres. Ils attendent avec impatience l'effet de ses bontés, et la déclaration du Roi, afin que son éxécution commence au premier octobre prochain, qui est la fin de la première année du bail actuel des fermes.
J'use, mon cher ami, de la permission que vous m'avez donnée. Je m'adresse à vous avec nos états, et je vous suplie d'obtenir de Mr De Trudaine qu'il daigne nous faire sentir l'effet de ses bontés à cette époque du premier octobre, tems auquel nous pourons nous pourvoir commodément de Sel, de Tabac et d'autres denrées nécessaires. Vous aurez doublé le bienfait de Monsieur De Trudaine, en nous prouvant par les faits que qui oblige vite oblige deux fois.
Les Commis des fermes aiant déjà entendu parler des bienfaits qu'on nous fait espérer, nous font les plus horribles avanies. Ils jouent de leur reste, et je ne serais pas étonné s'il y avait tôt ou tard du sang répandu.
On n'en répandra pas pour la diatribe; mais il me semble que les démarches qu'on a faittes sont une insulte à M: Turgot de la part des mêmes gens qui donnèrent de l'argent il y a quelques mois pour ameuter la populace. C'est l'esprit de la Ligue qui voudrait persécuter le Duc De Sully. Des fripons ont voulu donner des croquignoles à M: Turgot sur le nez de Laharpe.
Made Denis vous fait les plus sincères compliments. Nous passons les jours à vous regretter.
Adieu, protecteur de Ferney, du commerce, de la liberté et de la raison.
V.