1771-02-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Alexandre Marie François de Paule de Dompierre d'Hornoy.

Je hazarde de vous écrire, et je crois qu’en effet c’est hazarder, car j’ignore si vous avez reçu ma première Lettre qui était à l’adresse de Madame d’Hornoi sous l’envelope de Mr de Magnanville.

Vous avez sans doute des nouvelles directes de Paris. J’ai bien peur de ne faire icy que vous répéter ce que vous avez apris mieux que moi, ou de vous dire des choses peu sûres; mais vous combinerez mes nouvelles avec les vôtres, et vous en jugerez.

Premièrement, une nouvelle très sûre, c’est que Mr Fabri, maire de Gex, dans son voiage à Paris où tout le monde va pour voir cette pièce nouvelle, perdu les pastels qu’on envoiait à Madame d’Hornoy. Celà se réparera plus aisément que le reste.

Je crois que tous les parlements feront au Roi de très humbles remontrances. Le Parlement de Dijon nôtre voisin a déjà envoié les siennes. Ce sont les cadets qui prient le père de famille en faveur de leur ainé.

Vous savez que la chambre des comptes et la cour des aides font la même démarche.

Vous avez peut être vu le nouveau projet dont il court des copies dans Paris, c’est de créer un parlement pour L’Ile de France qui sera la cour des pairs, et ne sera composé que de cinquante membres; les places seront données par le Roi avec des apointements sans épices. Le reste du ressort sera partagé en cours souveraines de vingt membres chacune. On proposera l’édit d’enrégistrement qui a fait le sujet de la querelle, à tous les parlements du roiaume, et on fera dans chaque province le même arrangement qu’on projette pour le parlement de Paris. Ceux qui mandent cette nouvelle disent que les pairs et les princes s’oposent à cette nouveauté qui parait d’une éxécution bien difficile. On espère que le Roi qui a de l’expérience et de la bonté, ne prendra qu’un parti sage.

On s’attendait que Mr le Duc d’Aiguillon serait nommé la semaine passée ministre des affaires étrangères. Cependant il ne l’a point été.

Aureste les esprits du public sont partagés sur tous ces évênements. La sagesse du Roi les réunira, et un peu de tems calmera tout. On dit qu’il a déjà eu la bonté d’écrire une Lettre consolante à Made la Dsse de Choiseul. Je n’en suis pas sûr, j’en serai bientôt informé. Celà donnerait de grandes espérances. On n’a ôté à Mr le Duc de Choiseul ni les Suisses, ni la pension de ministre, et Sa Majesté n’ignore pas les services qu’il a rendus à l’état.

On se flatte qu’il y aura dorénavant plus d’économie dans les finances. On laisse six mois en arrière de toutes les rentes que le roi doit, excepté celles sur l’hôtel de ville.

Le systême de l’exportation des grains n’a servi jusqu’à présent qu’à nous aporter la famine. Le bled vaut chez nous vingt écus le septier mesure de Paris depuis trois mois. Plusieurs provinces souffrent une extrême disette, et j’ai peur que celle où vous êtes ne soit dans le même cas.

Pendant que nous gémissions, l’impératrice de Russie donne les fêtes les plus superbes et les plus galantes, et n’en continue pas moins à presser l’empire ottoman de tous les côtés.

Voilà tout ce que je sais des nouvelles de ce monde pour le présent. Je ne pousserai pas jusqu’à la Chine, de peur de déplaire à mon confrère Seguier qui à ce que je vois n’est pas encor assez formé pour entendre raillerie.

Je vous embrasse tout deux autant que mes très faibles bras peuvent vous embrasser. J’ai la goute, je suis un peu sourd et un peu aveugle, mais celà ne fait rien.